L'UE s'apprête à s'embarquer, ainsi que les 27 Etats membres et ses 500 millions de citoyen(ne)s, pour ce qui pourrait être la plus grosse réforme de son histoire depuis la création de l'euro le 1er janvier 1999.
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La crise économique et sociale que nous n'avons pas fini de traverser a amené les décideurs à prendre pleinement conscience que l'insuffisance, voire l'absence de coordination des politiques économiques, pouvait enfoncer l'Europe dans les ténèbres et que des crises que l'on pensait être locales pouvaient vite déborder des frontières nationales pour affecter d'autres pays et menacer la zone euro dans sa globalité. Cette prise de conscience a motivé la Commission européenne à définir un ensemble de règles afin d'éviter que de tels problèmes ne resurgissent à l'avenir. La "gouvernance économique" réfère à un paquet de six propositions législatives visant à garantir la durabilité des finances publiques et à détecter de manière précoce les risques de dérapages au niveau de toute une série d'indicateurs afin d'éviter qu'ils ne dégénèrent en crise.
Si la Commission européenne répond en cela aux demandes des plus lucides et fédéralistes d'entre nous, la manière dont elle a conçu ses règles n'est en aucun cas satisfaisante:
• En se focalisant quasi-exclusivement sur les dépenses publiques qu'il s'agit de comprimer, l'UE limiterait la capacité des Etats à assurer leur mission de service public et à garantir des systèmes de protection sociale adéquats. L'ampleur et la vitesse de la réduction de la dette publique préconisées sont telles qu'elles impliqueraient des cures d'austérité perpétuelle car o l'effort demandé serait tel que le frein aux dépenses publiques pénaliserait l'ensemble de l'économie, ce qui rendrait plus difficile encore la réalisation de cet effort. S'instaurerait ainsi un cercle vicieux; o et dans le cas (très vraisemblable) où les pays ne réaliseraient pas l'objectif qui a été assigné à chacun d'entre eux, les sanctions envisagées pour les pays sont de nature procyclique, c'est-à-dire qu'elles amplifient les problèmes rencontrés puisque l'Etat concerné devrait consacrer une partie de ses déjà chiches deniers publics au paiement d'une amende. Par ailleurs, l'argent ainsi collecté serait redistribué aux bons élèves qui, cyniquement, pour cette raison, n'auraient aucun intérêt à ce que les vilains petits canards rentrent sur le droit chemin. • D'autre part, les propositions éludent totalement la question des moyens de financement public indispensables pour assurer une transition écologique juste de l'économie. Or, certains d'entre eux ne peuvent, par nature, être abordés qu'à l'échelon européen. C'est le cas des euro-obligations (émission conjointes d'obligations pour réduire les coûts de financement des pouvoirs publics), de la taxe sur les transactions financières, de la convergence fiscale pour éviter une concurrence fiscale dommageable dans les courts et moyens termes aux autres pays mais aussi à soi-même dans le long terme, etc. • Les parlements nationaux se verraient confisqués de leurs prérogatives dans la mesure où l'UE pourrait ordonner au pays visé de prendre des mesures correctives dans des délais très courts et que ces mesures constitueraient une modification aux budgets et aux orientations politiques discutées, voire adoptées par les parlements nationaux. • Les propositions législatives en discussion ne prévoient nulle part que leur application n'affectera pas le résultat des négociations collectives, y compris la politique salariale et l'indexation (qui échappe à toute compétence européenne, comme le prévoit le Traité), le respect de la Charte des Droits fondamentaux et des clauses horizontales sociales et environnementales du Traité, la manière dont on choisit de financer les services publics. • Les salaires sont dans la ligne de mire des propositions car la Commission considère qu'ils sont LE moteur de la compétitivité ; or, c'est oublier un peu vite que o nos économies ont carburé à l'accumulation de dette privée et publique depuis une trentaine d'années et que cela a provoqué les fractures sociales que l'on connaît et accéléré la crise environnementale; en pointant du doigt les salaires, sans adresser les inégalités sociales abyssales, on retourne dans les travers du passé et se condamne à une autre crise. o l'UE s'est dotée en 2010 d'une Stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive et que par conséquent, il faudrait s'intéresser davantage à la qualité des biens que l'on met sur les marchés et qui, aujourd'hui, en raison des pratiques commerciales en vigueur, sont conçus pour être défectueux ou dépassés après 2 années d'utilisation (obsolescence programmée).
La responsabilisation nécessaire des Etats membres ne peut être un alibi pour museler l'expression des préférences collectives nationales à travers les débats dans les enceintes parlementaires nationales et pour porter un coup fatal au modèle social qui est déjà rudement mis à contribution dans la mondialisation.
Olivier Derruine