Présidence française du Conseil de l'UE: sponsoring et lobbying à gogo
La France a récemment pris les rênes du Conseil de l'UE, qui représente les gouvernements des États membres et adopte les lois européennes sur conjointement avec le Parlement. Durant les six prochains mois, notre voisin sera responsable de préparer l'agenda et de présider les réunions, un pouvoir qu'il entend bien utiliser pour promouvoir les intérêts de ses "champions" industriels. Explications.
Des trois institutions principales de l'UE, le Conseil est souvent désigné comme le plus influent, mais c'est aussi de loin le plus opaque. Opérant quasi exclusivement à huis clos, il est extrêmement difficile pour les eurodéputé.e.s et journalistes (et carrément impossible pour les citoyen.ne.s) de comprendre les prises de décisions ou encore de connaître les positions défendues par les représentants des différents gouvernements nationaux.
Malgré les belles paroles prononcées par le président français sur la nécessité d'un renouveau démocratique à l'ouverture de la Conférence sur l'avenir de l'Europe en mai dernier, la France est l'un des pays les plus réticents lorsqu'il s'agit effectivement de rendre plus transparent le fonctionnement du Conseil.
Si cette opacité interne est en elle-même déjà un affront démocratique, les exigences que s'impose le Conseil en termes de contacts avec les lobbies sont très faibles en comparaison avec les règles qui sont d'application au Parlement et à la Commission.
Comme les décisions du Conseil se font à l'abri des regards, l'intérêt général y est régulièrement sacrifié au fil des négociations. Car ceux qui ont les contacts, le budget et la main-d'œuvre nécessaire pour influencer les politiques publiques européennes défendent généralement des intérêts particuliers.
Cette 'proximité' entre une institution publique et représentants d'entreprises privées est pour le moins dérangeante, mais elle devient encore plus apparente lorsqu'on observe la tradition de sponsorisation de la présidence tournante du Conseil. De nombreux États membres ont au fil des années fait appel à des entreprises privées pour leur fournir une aide financière ou logistique en échange d'une visibilité inégalée au centre même du pouvoir. La Roumanie en 2019 avait par exemple conclu des partenariats avec entre-autres Coca-cola et Mercedes-Benz, et la présidence croate en 2020 était sponsorisée par la compagnie pétrolière INA, désignée comme "fournisseur officielle d'essence". D'autres gouvernements ont pourtant rejeté cette pratique qui met en péril l'intégrité et la neutralité de l'UE, comme l'Allemagne en 2020 par exemple.
Le gouvernement d'Emmanuel Macron ne semble pas s'en soucier: il a conclu un accord de sponsoring avec les groupes automobiles Renault et le groupe Stellantis (né de la fusion entre Fiat-Chrysler et PSA l'année dernière) qui lui fourniront une flotte de véhicules électriques ou hybrides pour les évènements organisés durant la présidence française. Un beau cadeau pour ces multinationales françaises, qui sont pourtant accusées d'avoir contourné les règles européennes d'émissions automobiles (le fameux Dieselgate). De surcroît, une révision de ces standards d'émissions des voitures sera examinée durant la présidence française, et la France fait pression pour retarder la date de fin des voitures essence et diesel pour préserver les voitures hybrides, un marché important pour...Stellantis. Enfin, le Conseil avait l'occasion d'introduire des règles concernant ces pratiques de sponsoring en 2020, mais la France s'y est fermement opposée.
Il est vrai que la confusion entre intérêts publics et privés n'est ni nouvelle ni surprenante en ce qui concerne le gouvernement français. Il s'inscrit dans une longue tradition de défense et promotion des intérêts de ses "champions" industriels nationaux. Et cette tradition est évidemment perpétuée durant la présidence française du Conseil: d'après l'ONG Corporate Europe Observatory, le représentant permanent du gouvernement français (en charge d'organiser la présidence) et son adjoint ont rencontré au moins 28 fois les grandes entreprises ou lobbies industriels durant la période de préparation, contre deux rendez-vous avec la société civile. Des évènements (publics ou à huis clos) ont également été organisés par le gouvernement français en collaboration avec les (lobbies des) grandes entreprises pour mieux comprendre leurs demandes et priorités.
Les États membres doivent se rendre à l'évidence: le climat d'impunité et d'obscurité qui règne au Conseil est extrêmement nocif pour la réputation du Conseil et de l'Union européenne de manière générale. Mais la réformer dans le sens d'une plus grande transparence ne sera certainement pas aisée. Car c'est aussi cette même opacité qui permet aux gouvernements de mener un double discours à Bruxelles et dans leurs capitales respectives, avec toujours la même phrase à la clé:
"C'est la faute à Bruxelles!"
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Philippe
Pour en savoir plus sur le lien étroit entre la présidence française du Conseil et les grandes entreprises, je vous invité à lire les excellents rapports de Corporate Europe Observatory ave l'Observatoire des multinationales:
1. https://multinationales.org/presidence-francaise-de-l-UE-sous-influence
2. https://multinationales.org/PFUE-Une-presidence-sous-influence