Uber et l’argent d’Uber : l’UE doit garantir les droits des travailleurs de plateforme
En Europe, une écrasante majorité de décisions de justice ont démontré clairement que les compagnies de plateforme sont des employeurs et que leurs travailleurs et travailleuses doivent bénéficier des mêmes droits que des salariés. La Commission européenne doit donc assurer à l’échelle de l’UE un cadre législatif cohérent et protecteur mettant fin au système abusif des faux-indépendants.
Autrement dit, si Uber et consorts veulent bénéficier du marché européen, ils doivent en accepter la contrepartie, à savoir: respecter le droit du travail. C’est l’objet de la lettre ouverte que j’ai adressée lundi, avec mes collègues, à la Présidente de la Commission européenne.
Actuellement, les travailleurs et travailleuses de plateforme sont en effet considérés sur le plan juridique comme des indépendants offrant un service à un client, la plateforme faisant office d’intermédiaire entre ces deux acteurs. Ces « indépendants » ont donc un contrat commercial avec la plateforme en lieu et place d’un contrat de travail avec un employeur.
Les plateformes ne paient donc pas de cotisations sociales et ne sont pas soumises au respect des lois assurant certaines garanties quant aux conditions de travail aux salariés (durée légale, paiement des heures supplémentaires, indemnités de licenciement, prise en charge des frais de transports, financement de l’équipement nécessaire, etc.). En cas de ralentissement de leur activité économique, la plateforme peut aussi unilatéralement baisser les tarifs, et donc la rémunération des travailleurs qui fluctue souvent en fonction de la demande, ou mettre fin à la relation commerciale qui les lient sans indemnité ni autre forme de contrainte.
Alors que les plateformes compressent leurs coûts au maximum, voire organisent un système de vente à perte de façon à balayer toute concurrence, elles reportent tous leurs risques sociaux et économiques – normalement à charge de l’employeur – sur le travailleur.
En conséquence, les personnes travaillant dans l’économie de plateforme gagnent souvent moins que le salaire minimum, ne sont pas couverts par des conventions collectives, n’ont droit à aucun congé payé, sont exposés à des risques de santé et de sécurité, n’ont pas droit à des congés de maladie ou ne bénéficient pas de la protection de la sécurité sociale. Souvent, les heures de travail sont longues et, dans certaines plateformes, un important écart salarial entre hommes et femmes et d’autres types de discrimination sont soit tolérés soit renforcés par des biais algorithmiques.
Ces entreprises attirent des travailleurs de groupes vulnérables qui sont obligés d’accepter des bas salaires sachant qu’à défaut quelqu’un d’autre prendra leur emploi. À Bruxelles par exemple, les coursiers Deliveroo et Uber Eats sont en grande majorité des personnes sans papiers, obligées de sous-louer un compte en échange d’une part de leurs revenus. On est loin de l’image de ces jeunes travailleurs, souvent des étudiants, travaillant « pour arrondir leurs fins de mois ».
Par cette lettre adressée à la Commission européenne, nous - syndicats, ministres et députés - tenons à rappeler que la législation européenne doit assurer à ces travailleurs et travailleuses la protection adéquate qui leur est due. Car dans les faits, ils sont en réalité généralement dans une relation de travail subordonnée à un employeur unique et doivent donc être considérés comme des salariés.
Le nouveau cadre législatif européen, qui sera présenté le 8 décembre prochain, doit donc renverser la charge de la preuve en établissant une présomption de salariat qui fixe le statut d’employé comme point de départ. Le cas échéant, c’est à la plateforme de prouver que l’emploi est indépendant en démontrant qu’il n’existe aucune relation de dépendance.
Les plateformes numériques doivent se conformer au droit du travail et pour cela, la Commission doit fixer un cadre clair : si Uber et les autres multinationales de plateforme veulent opérer sur le territoire européen, elles doivent en payer le prix.
Pour lire la lettre ouverte en français publiée dans Le Soir