Vendredi dernier, après des années de négociations menées sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un accord en matière de taxation des multinationales a enfin été trouvé. Et 136 pays l’ont signé. C’est donc un fait historique indéniable. Cependant, si l’on veut réellement mettre fin aux paradis fiscaux et établir une justice fiscale internationale digne de ce nom, le « deal » reste insuffisant.
Le changement de cap est amorcé
En établissant une régulation internationale dans un domaine où jusqu’ici les règles étaient nationales, les pays signataires ont opéré un véritable virement de bord, mettant fin à un système fiscal vieux de cent ans.
Deux principes-clés témoignent de l’innovation de cette nouvelle architecture de la fiscalité internationale. Le premier concerne l’instauration d’un taux minimum effectif global de 15%. Avec l'introduction d'un seuil international, calculé pays par pays, une multinationale payera le même taux plancher effectif quel que soit l'endroit où elle réalise ses bénéfices. En pratique donc, si un pays taxe une multinationale à un taux inférieur à 15%, le pays où se trouve sa maison-mère pourra récupérer la différence.
Le deuxième principe concerne l’introduction d’une nouvelle clé de répartition, de telle sorte qu’une partie de l’impôt sur les bénéfices sera payée là où les multinationales ont des clients et réalisent leurs activités (ce qui vise une répartition plus équitable entre pays du Nord et du Sud notamment) et non plus seulement dans les pays où elles ont une implantation physique (qui offrent souvent des régimes d’imposition préférentiels). Ce principe reconnait par là qu’une multinationale est une entreprise unitaire active dans diverses juridictions et pas un consortium de filiales et autres sociétés-écrans dont l’activité principale consiste à éluder l’impôt.
Iceberg, droit devant
Néanmoins, en matière de fiscalité internationale, il faut analyser le dessous des cartes. Il y a quelques mois déjà, je réagissais à l’agitation politique de surface en pointant un certain nombre de risques [1]. Ces derniers se sont en grande partie bel et bien matérialisés.
D’abord, le taux de 15% est trop faible. Comparativement à la proposition du Président Biden de 21% qui aurait permis de récolter plus de 200 milliards de recettes fiscales mondiales additionnelles – soit l’équivalent du plan de relance italien –, on espère ici n’en recouvrir que 100 milliards. Ensuite, il y a un risque que ce taux se transforme en nouvelle norme internationale, entrainant une course vers le bas dans un certain nombre de pays.
Par ailleurs, on estime que seules les 100 multinationales les plus grandes et les plus rentables seront concernées par la mesure, et seulement pour une fraction de leurs « super profits » (uniquement au-delà de 10%). Amazon, par exemple, ne serait pas concernée, sa marge bénéficiaire étant inférieure à ce seuil de rentabilité. En outre, les services financiers réglementés (banques, fonds d’assurance, etc.) sont exclus du champ d’application et l’accord prévoit que les États signataires retirent toute taxe digitale existante ou s’abstienne d’en introduire de nouvelles. Enfin, la clé de répartition des bénéfices est encore largement favorables aux pays riches, au détriment des pays du Sud, pourtant davantage impactés par l’évasion fiscale.
Tous en salle des machines
Cela veut-il dire qu’un « no deal » eut été préférable ? Non. Comme dans tout combat politique, il faut pouvoir analyser les faits dans leur complexité et s’appuyer sur les acquis obtenus pour améliorer l’existant, pour autant que la direction prise soit la bonne. Outre l’architecture nouvelle du système fiscal international qui crée une avancée indéniable, de nombreux observateurs soulignent ainsi le « réveil fiscal » qui s’est opéré ces deux dernières années et l’implication sans précédent des États du Sud dans ces négociations internationales.
C’est pour beaucoup un accord provisoire à amender et sur lequel nous pouvons construire. Par exemple, le champ d’application des principes évoqués plus haut peut être élargi. Les négociations vont d’ailleurs continuer, sous la présidence indonésienne puis indienne, notamment concernant la mise en œuvre de l’accord. L’Union européenne devrait également venir avec des propositions pour ce qui la concerne dans les prochains mois.
Ni chant de victoire, ni cri de défaite. Lucidité. Lucidité quant à ce qui a été obtenu et tout ce qu’il reste à faire. Cet accord-cadre jette des bases nécessaires mais insuffisantes. Et il faut continuer inlassablement à se retrousser les manches pour mettre fin au « business model » des paradis fiscaux.
[1] Voir ma carte blanche « Mettre fin aux paradis fiscaux : c’est maintenant ou jamais ! » de juin dernier, co-signée avec mon collègue député à la Chambre @Gilles Vanden Burre : https://www.levif.be/actualite/belgique/mettre-fin-aux-paradis-fiscaux-c-est-maintenant-ou-jamais-carte-blanche/article-opinion-1435535.html