Scroll Down

Sommet social: À Porto, les leaders européens chantent le Fado

11/05/2021
Partager

Vendredi et samedi dernier, le « sommet social » de Porto a fait résonner à nouveau une mélodie aux sentiments contradictoires, à l’image de la « saudade » chantée par les fadistes portugais. Les slogans favorables à l’ « Europe sociale » et certaines avancées symboliques se sont ainsi heurtés au manque patent d’ambitions concrètes.

L’Europe sociale : une partition blanche

On le sait, la dimension sociale est le parent pauvre du projet européen. La convergence « par le haut » des systèmes de protection sociale nationaux se heurte régulièrement au dissensus entre Etats membres. Entre performances économiques inégales, systèmes de redistribution plus ou moins développés et philosophies des droits sociaux fondées dans des traditions variées, les Etats européens sont rarement à l’unisson lorsqu’il s’agit de s’accorder sur le rôle à accorder à l’Union européenne. Cette dernière n’a d’ailleurs qu’une compétence de soutien, vouée à « compléter et soutenir » l’action des Etats membres dans le domaine social.

C’est pourquoi, après une décennie de crise économique et sociale, la Commission (à l’époque dirigée par Jean-Claude Juncker) a voulu relancer la musique. Doter l’Europe d’un « triple-A social », tel était le credo. En 2017, le Parlement européen, la Commission et le Conseil ont ainsi proclamés en chœur au Sommet de Göteborg (Suède) le « socle européen de droits sociaux », un texte en trois volets : égalité des chances et accès au marché du travail, conditions de travail équitables, protection et inclusion sociales.

Près de quatre ans plus tard, le sommet de Porto de ce week-end était donc l’occasion d’enfin donner le La, en adoptant un plan d’action dans ce domaine. Si l’on peut se réjouir que les dirigeants européens fassent de cette question une priorité en ces temps de pandémie, les déclarations d’intentions n’ont pas été à la hauteur des enjeux.

Un lyrisme aphone

Du côté du volume d’abord: alors que le fortissimo s’impose, les objectifs sont insuffisants, notamment en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. En 2019, 1 européen sur 5 était encore menacé de pauvreté ou d’exclusion sociale, ce qui représente 92 millions de personnes, dont près de 20 millions d’enfants, et la pandémie n’a fait qu’aggraver les choses. Le plan d’action prévoit une réduction de 15 millions : ce n’est pas seulement insuffisant, c’est carrément un retour en arrière par rapport aux objectifs fixés pour 2020, alors même que ces objectifs n’ont jamais été atteints et que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté enjoint l’UE à réduire de 50% le taux de pauvreté d’ici à 2030.

Du côté du choix des instruments, ensuite: pour faire réellement avancer l’Europe sociale, on ne peut plus se contenter d’instruments à vent. Il faut aussi de solides contrebasses. Ce qui suppose d’ inscrire les droits sociaux dans le marbre. Ce n’est malheureusement pas ce que proposent les leaders européens. Exemple : en matière d’accès à un revenu minimum décent, le plan d’action se limite à faire une énième « recommandation ». Pourtant, l’urgence sociale exige une véritable législation contraignante, qui imposerait aux États membres de relever les minima sociaux et d’élargir leur couverture sociale.

Un orchestre élargi

La note d’espoir de ce sommet, c’est la participation en bonne et due forme des partenaires sociaux, jusque-là aux abonnés absents. Le retour du dialogue social est en effet encourageant.
Syndicats et employeurs ont notamment suggéré une nouvelle approche de la prospérité au-delà du seul PIB comme boussole du bien-être collectif*. Reste à voir si le nouvel air trouvera un écho dans le temps.

Si l’Union européenne n’a pas vocation à devenir un Etat-providence supranational, elle peut et doit faire bien davantage pour lutter contre les inégalités, assurer une plus grande cohésion entre les régions et les groupes sociaux qui la composent, et assurer une vie décente à toutes les citoyennes et citoyens vivant en son sein. Pour cela, il faut créer des standards contraignants, des droits, des vrais, sans tremolo. À ce moment-là, les citoyens auront à nouveau envie de tendre l’oreille pour écouter les incantations des leaders européens.

 

*Pour ce faire, ils ont proposé un tableau de bord composite mesurant notamment les inégalités, les années de vie en bonne santé, la qualité des services publics, les investissements totaux ou la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité.

TAGS