Ce mercredi, par une majorité de 461 voix, 157 contre et 89 abstentions, le Parlement Européen a investi la Commission Européenne pour la mandature 2020-2024; elle prendra officiellement ses fonctions ce 1er décembre.
Après avoir voté contre la désignation d'Ursula von der Leyen en juillet (cf mon billet du 16/07/19 pour les explications), le groupe des Verts/ALE a décidé de s'abstenir pour l'investiture de la Commission, dont la majorité repose sur les conservateurs du PPE, les socialistes (S&D) et les libéraux (Renew Europe).
À l'évidence, il nous était impossible de lui octroyer notre confiance, et ce pour quatre catégories de raisons :
1. Sur le fond, dans de nombreux domaines, les choix politiques annoncés par cette commission sont aux antipodes de nos préoccupations. Qu'il s'agisse de la politique commerciale ou de la politique agricole, hautement dommageables tant pour l'environnement que pour la justice sociale, aucun changement de cap n'est annoncé. Sur la politique migratoire, si inflexion il y a, c'est plutôt dans le sens d'une Europe forteresse. De même a été refusée notre demande d'un moratoire sur toute nouvelle initiative en matière de surveillance généralisée.
2. Certains membres du casting s'avèrent particulièrement problématiques, comme celui d'Oliver Varhelyi, commissaire hongrois en charge de l'élargissement. Celui-ci devra notamment s'assurer que les Etats candidats à l'adhésion respectent l'état de droit et les libertés fondamentales, tout en ayant été nommé par un Etat-membre qui à l'évidence ne les respecte plus.
3. Sur le plan des symboles, les signaux envoyés par Ursula von der Leyen à la frange la plus à (l'extrême) droite de sa majorité sont pour nous inacceptables. En particulier, établir un lien entre un supposé "mode de vie européen" et la question de l'asile et de la migration constitue un amalgame délétère. Tout d'abord, qu'est-ce que le "mode de vie européen"? Est-ce la société de consommation qui, élargie à la population planétaire, exigerait 4 ou 5 planètes pour assouvir ses désirs? Est-ce un ordre patriarcal qui confine les femmes à des rôles de second plan? A nos yeux, la caractéristique de l'UE est précisément la diversité des modes de vie qu'elle héberge. La présidente-élue eût été mieux inspirée de se référer à la défense des valeurs de l'UE, inscrites à l'article 2 de son traité fondateur, à commencer par la dignité humaine. Et cette défense est l'affaire de tous, pas uniquement celle du Commissaire en charge des affaires intérieures, de l'asile et des migrations. De même, le lien fait entre démocratie et démographie semble totalement déplacé.
4. Enfin, sur le plan purement politique, un vote favorable ne pouvait se justifier. Depuis les élections du 26 mai, les Verts/ALE ont affirmé leur ouverture à faire partie d'une majorité large, porteuse d'un projet de changement pour l'UE. Les discussions entre quatre groupes parlementaires en ce sens avaient été torpillées par les socialistes et libéraux, ce qui ouvrit la porte à la nomination d'Ursula von der Leyen. Après l'élection de justesse de cette dernière en juillet dernier, nous lui avons réitéré notre disponibilité à rouvrir des discussions à quatre; elle a fait le choix de cimenter une majorité à trois. Nous respectons ce choix mais quel sens cela aurait-il pour nous de soutenir une telle majorité, qui ne nous a associé ni à la confection de son programme ni à la répartition des responsabilités exécutives.
Pour autant, nous n'avons pas voulu d'emblée sortir le carton rouge à Ursula von der Leyen et à sa Commission. À la différence marquée de son prédécesseur Jean-Claude Juncker, elle a affirmé vouloir faire d'un "Green Deal" européen un des chantiers majeurs de son quinquennat. Et si cette ambition est encore fort floue (et, comme je l'indique plus haut, partiellement contredite par le refus de remettre en cause des pans entiers des politiques européennes comme sur le commerce ou l'agriculture), elle est renforcée par des éléments rarement évoqués par une responsable du PPE : taxe carbone aux frontières, salaire minimum européen, un revenu minimum européen, un mécanisme européen de réassurance du chômage,... Voter contre aurait signifié que nous n'accordons aucun crédit au discours-programme de la nouvelle Commission. Une telle attitude revenait à faire l'impasse sur les cinq prochaines années, dans un contexte où le GIEC nous en accorde à peine dix pour engager résolument la transition écologique et solidaire : un choix incompatible avec l'éthique de la responsabilité qui est nôtre.
Loin d'une indécision, notre abstention constitue de notre part à la fois une mise à l'épreuve et un engagement à l'égard de la nouvelle Commission Européenne. Qu'elle démontre, par ses propositions législatives et budgétaires, qu'elle veut engager l'Europe sur le chemin de la transition et nous serons prêts à contribuer à ses efforts par notre ambition, notre créativité et nos voix au Parlement. Qu'elle renonce face aux partisans du statu-quo productiviste et néo-libéral, et elle nous trouvera en travers de sa route. Qu'elle se mette à présent au travail d'arrache-pied: notre empreinte écologique et les inégalités sont deux bombes à retardement dont les mèches sont déjà sérieusement entamées. Si nous voulons les désamorcer, il n'y a plus une minute à perdre.