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Le Mur est tombé, vive les murs !

14/11/2019
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Alors que l’Europe célèbre le trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin, elle s’est dans le même temps barricadée face aux exilé.e.s du reste du monde. L’idée de mur n’est plus la même qu’il y a trente ans: si le mur de Berlin visait - au nom d’une idéologie - à empêcher les individus de fuir, la prolifération d’obstacles s’explique aujourd’hui principalement par la peur des migrant.e.s et cherche à les empêcher d’arriver. Mais ce que l’on sait moins, c’est que le développement de « l’Europe forteresse » s’avère être un business très fructueux pour une série de sociétés du secteur de l’armement, de la défense, de l’informatique, du transport maritime et du BTP (bâtiments et travaux publics). C’est ce que révèle le Transnational Institute (TNI) dans un rapport récent [1].

Les entreprises bénéficiant de ce commerce des barrières sont impliquées dans l’édification de différents types de murs, qu’ils soient physiques, maritimes, ou virtuels. Les premiers correspondent aux obstacles terrestres comme il en existe en Hongrie où une clôture de 3 mètres de haut renforcée par des barbelés s’étend tout le long de la frontière avec la Serbie. Les murs maritimes font bien sûr référence à la manière dont la mer Méditerranée s’est transformée en frontière meurtrière, faute de véritable voie légale pour accéder à la sécurité et demander l’asile. Enfin, les murs virtuels ou « intelligents » impliquent un éventail de technologies allant des systèmes de surveillance par caméras aux drones, en passant par les capteurs infrarouges et autres systèmes de radars ou de reconnaissance d’empreintes digitales biométriques.

L’édification de ces nouveaux murs mobilisent des sommes considérables : on évalue les dépenses faites par les États membres dans les murs physiques à au moins 900 millions d’euros depuis la fin de la guerre froide, les dépenses de l’UE en matière de murs maritimes à au moins 676,4 millions d’euros entre 2006 et 2017, et près d’1 milliard d’euros ont été dépensés dans les murs virtuels de l’Union entre 2000 et 2019. Au total, le marché international associé à la sécurité des frontières avoisinait 17,5 milliards d’euros en 2018 et devrait continuer à croître significativement dans les années à venir vu les budgets planifiés par l’UE en matière de sécurité des frontières. Ces barrières multiformes font donc l’affaire des sociétés qui les construisent, dont les principaux noms sont repris dans l’infographie ci-dessous.

Ce commerce des barrières est mortifère. Faut-il rappeler que plus de 1000 personnes ont déjà perdu la vie en tentant de traverser la Méditerranée cette année [2] ? Que près de 17000 morts et disparus ont été recensés depuis 2014? La militarisation des frontières, qu’elles soient terrestres ou maritimes, pousse les individus à emprunter des voies dangereuses, à être à la merci des passeurs et des garde-côtes libyens, à survivre dans des camps de réfugiés surpeuplés, quand ils ne sont pas victimes du trafic d’êtres humains.

Ce n’est pas une fatalité. Face à cela, d’autres choix politiques sont possibles. Les budgets peuvent être réorientés vers le soutien aux opérations de recherche et de sauvetage en mer, et à une politique d’accueil digne de ce nom. Les écologistes plaident depuis longtemps pour des voies d’accès sûres et une répartition équitable des migrant.e.s dans l’Union.

Célébrons la chute du Mur mais ne soyons pas naïfs : tandis que l’Union européenne faisait disparaître ses frontières internes et développait la libre circulation des personnes en son sein suite à l’effondrement du Rideau de fer, de nouveaux murs sont progressivement apparus aux frontières externes du Vieux Continent. Il nous appartient aujourd’hui de les abattre.

[1] https://www.tni.org/en/businessbuildingwalls…
L'infographie ci-dessous a été réalisée sur bases des données provenant du rapport du TNI.

[2] https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean

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