Le vote d’une résolution du parlement européen sur les questions mémorielles liées aux régimes totalitaires en Europe a suscité ces derniers jours des réactions vives et une incompréhension quant à mon vote initialement favorable. À raison d’ailleurs, car le texte est effectivement problématique à plusieurs égards. J’ai donc modifié mon vote en conséquence du « oui » vers l’ « abstention », la possibilité d’un « roll call vote » permettant dans certains cas de changer son vote ultérieurement. Explications.
Cette résolution a été déposée par le Parti populaire européen (PPE, qui réunit des formations de droite et de centre-droite) et votée en séance plénière à Strasbourg le jeudi 19 septembre. Il n’y a pas eu de débat en commission au préalable, ce qui limite le temps de réflexion et la profondeur des discussions.
Le Groupe des Verts/ALE a décidé lors de sa réunion du mercredi 18 septembre, et moyennant certains amendements, de co-signer malgré tout ce texte, notamment au regard de la position de certains de ses membres issus des pays d’Europe centrale et orientale pour qui ce texte revêt une signification toute particulière.
Si nos parlementaires ont exprimé différentes sensibilités sur cette résolution à travers leur vote (ma collègue Saskia Bricmont s’est abstenue par exemple), la famille verte est unanime quant au fait qu’elle s’oppose à toute forme de totalitarisme. C’est donc à ce titre, et suivant la position majoritaire du Groupe, que j’ai voté initialement « pour » cette résolution.
Mais, je dois reconnaître qu’étant fort absorbé par les responsabilités liées à ma fonction de co-président du Groupe, je n’ai prêté qu’une attention insuffisante au contenu du texte. Suite aux interpellations reçues ces derniers jours, je me suis donc replongé dans cette résolution et un certain nombre d’éléments y sont effectivement problématiques.
Cette résolution m’était initialement apparue intéressante dans sa volonté de créer les bases d’un dialogue mémoriel tourné vers l’avenir, au travers d’ « une culture mémorielle partagée, qui dénonce les crimes commis par le passé par les régimes fasciste, stalinien et autres régimes autoritaires, de manière à permettre notamment à la jeune génération d’acquérir la résilience nécessaire pour faire face aux menaces auxquelles la démocratie est confrontée à l’heure actuelle […] » (§10).
Il s’avère néanmoins que le texte mobilise certains gisements mémoriels – des éléments historiques douloureux et ré-activables dans le présent – de façon problématique. Ainsi, comme le rappelle Jean Vogel dans sa tribune du samedi 5 octobre dans La Libre Belgique, s’il est important de comprendre que des députés issus des pays baltes par exemple abordent cette résolution sous un prisme marqué par l’expérience historique et le bagage mémoriel dont ils ont hérité, il est tout aussi légitime de critiquer l’amalgame fait par la résolution entre régimes nazis et communistes sans aucune analyse de leurs soubassements idéologiques ni des dynamiques ayant mené à la conclusion du Pacte germano-soviétique de 1939. Sans compter toute une série d’éléments historiques qui sont tus dans le texte.
Le biais historique découle ensuite sur une confusion d’ordre politique, puisque le texte contient une série de recommandations visant à condamner et à interdire les symboles liés aux « idéologies communistes », sans distinction entre les courants issus de la pensée marxiste et son dévoiement par les régimes l’ayant mise en œuvre.
Enfin, cette résolution entretient fondamentalement une confusion des genres entre le rôle politique d’un député européen et le travail d’historien. L’abstention est donc motivée par le fait que le rôle du Parlement européen, et a fortiori de ses membres, n’est pas d’écrire l’histoire.
Je terminerai en vous remerciant pour vos interpellations et en rappelant que les Verts s’opposent, car c’est l’essence même de notre projet politique, à toute forme de totalitarisme.
Texte de la résolution du PE : https://www.europarl.europa.eu/…/doc…/TA-9-2019-0021_FR.html