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La crise sanitaire ne justifie pas le démantèlement de l’Etat de droit

02/04/2020
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En Europe et ailleurs, les gouvernements prennent des mesures de précaution importantes dans l’objectif de contenir la propagation du Covid-19. Cependant, les informations qui nous parviennent de Hongrie – mais pas uniquement – sont inquiétantes. Nous ne pouvons pas accepter que ces mesures aboutissent à miner l’Etat de Droit et la démocratie.

Il y a deux jours, le parlement Hongrois a accordé au gouvernement les pleins pouvoirs, autorisant Viktor Orban à légiférer par ordonnances sans aucun contrôle parlementaire. Là où l’état d’urgence est usuellement fortement cadré, la loi hongroise ne prévoit aucune date butoir et empêche l’organisation d’élections. De surcroît, elle prévoit jusqu’à cinq ans de prison pour toute personne diffusant des « fausses informations » sur les mesures du gouvernement. De quoi inviter les procureurs à se montrer créatifs.

Cette loi n’est que le dernier tournant d’un long processus 'd’autocratisation' en Hongrie, où entre persécution des médias, fermeture d’universités et destitution des juges critiques à l’égard du gouvernement, la démocratie ne semble avoir persisté que de façade. Rappelez-vous qu’en 2018, nous avions sonné l’alarme au Parlement européen, en déclenchant les procédures de suspension de la Hongrie pour violation de l’Etat de droit et des valeurs de l’Union. Mais la réaction de la Commission et du Conseil fût et reste timide. Hier encore, la présidente von der Leyen assurait surveiller de près les mesures prises par les Etats-membres, sans pour autant oser pointer du doigt la Hongrie d’Orban. Elle est fidèle en cela à l'attitude de son parti, l'Union Chrétienne Démocrate (CDU) de la chancelière Merkel qui aujourd'hui encore bloque l'expulsion du Fidesz de Viktor Orban du Parti Populaire Européen. Un véritable scandale de la part de la famille politique qui se revendique à la base de la construction européenne et de la défense des valeurs!

Mais la Hongrie n’est cependant pas le seul pays de l’Union dont les mesures d’urgence inquiètent. En France, l’état d’urgence semble à présent se normaliser, et la loi d’urgence sanitaire y autorise la mise en quarantaine forcée ou le placement en garde à vue pour violation du confinement. Le tout sans aucun contrôle judiciaire, laissant libre cours à l’imagination des forces de l’ordre. Comme le dit Raphaël Kempf dans Le Monde, cette situation révèle « la vision de ce gouvernement, qui ne pense pouvoir gérer la population que par la contrainte et la discipline ». En Pologne, les élections présidentielles ont été maintenues malgré le contexte de pandémie, optant ainsi pour l’élargissement du vote postal. Cependant, ce dernier semble n’avoir été élargi qu’aux personnes de plus de soixante ans et en quarantaine, qui traditionnellement semblent voter pour les partis de l’actuelle majorité. A l’inverse des Polonais résidant à l’étranger, pour qui cette règle ne s’applique pas…

En outre, de nombreux gouvernements mettent en place des systèmes de collection de données dans l’objectif de limiter la propagation de virus. Les données cellulaires sont notamment utilisées pour évaluer les mouvements de personnes. Dans la plupart des cas, ces données sont très imprécises, et donc à la fois disproportionnellement intrusives et peu utiles pour détecter les personnes à risques. Les mesures adoptées en Asie relèvent de scénarios cauchemardesques. En Corée du Sud, les citoyens en quarantaine sont contraints d’installer une application qui suit leurs moindres mouvements par GPS. En Chine, l’application décide ‘carrément’ si la personne est autorisée à sortir de chez elle. Ces mesures n’ont pas leur place dans nos démocraties, et nous resterons hautement vigilants à toute possibilité d’atteinte à notre vie privée.

Il est évident que le contexte de pandémie amène les gouvernements de l’Union européenne à prendre des mesures urgentes de précaution. Mais il faut à tout prix éviter que l’exception ne devienne la règle. N’oublions pas que les mesures actuelles de confinement comportent déjà d’importantes limitations de nos droits et libertés. Nous devons nous assurer que ces précautions restent proportionnées, et qu’elles vont de pair avec le maintien du contrôle de l’exécutif exercé par les parlements, la société civile, la justice et les médias. Les inégalités se trouvant fortement accrues dans ce contexte de crise, il est également essentiel que toute décision soit accompagnée de mesures sociales et économiques visant particulièrement les plus précaires.

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