"La Commission européenne a publié son premier rapport de surveillance macro-économique. Evidemment, comme on pouvait s'y attendre, l'Allemagne et la France échappent à toute surveillance. Il y a donc clairement dans le chef de la Commission européenne une Europe à deux vitesses: ceux auxquels il ne vaut mieux pas toucher, et ceux auxquels on peut s'attaquer. (...). Messieurs de la Commission européenne, vous ne regagnerez la confiance des citoyens que lorsque vous vous attaquerez avec la même énergie à la dette privée et la dette publique, aux banques et aux Etats en difficulté, aux inégalités et aux déficits publics, à la France et l'Allemagne et tous les autres Etats."
15 février 2012 - Entrées en vigueur le 1er décembre dernier, les nouvelles dispositions de gouvernance économique de l’Union Européenne (plus connues sous l’appellation « six-pack ») prévoient une surveillance des déséquilibres macro-économiques. La nécessité d’une telle surveillance était apparue suite notamment aux crises espagnole et irlandaise, causées non pas par des dérapages budgétaires mais bien par l’explosion de bulles immobilières. C’est dans ce cadre que la Commission Européenne a publié hier son premier rapport, lequel revêt une importance qu’on ne peut sous-estimer car c'est sur cette base qu’elle adressera ensuite des recommandations aux Etats-Membres considérés comme « mauvais élèves ». Le non-respect de ces recommandations pourrait ultérieurement déboucher sur des sanctions financières.
Peu d'Etats membres semblent irréprochables aux yeux de la Commission, qui note que trois indicateurs sont préoccupants pour la Belgique. Le premier d'entre eux – et ce n'est pas une surprise – concerne l'endettement public, dont le taux (96 %) est depuis longtemps supérieur aux 60 % préconisés par le Traité. Le deuxième (et il s'agit ici d'un sujet qui est relativement méconnu en Belgique) concerne l'endettement privé qui atteint aujourd’hui pas moins de 233 % du PIB, alors qu'il s'établissait à 195 % du PIB en 2004 ! Et la Commission de pointer les prêts interentreprises et les crédits hypothécaires. Etant donné le statut de ce rapport, le gouvernement fédéral compétent pour ces questions aurait tort de ne pas s'attaquer à ce problème, avant que ne s'enclenche pour le secteur privé un « effet boule de neige » semblable à celui qui a porté la dette publique à un record historique en 1993 et dont on se rappelle que l'inversion a exigé des efforts considérables.
Enfin, la Commission alerte sur la perte de parts de marché mondial (-15,4 %), un critère qui prête à discussion, dans la mesure où le décollage des pays émergents, dont les parts de marché ont plus que doublé en 10 ans, constitue un rééquilibrage somme toute naturel du commerce mondial. Il est à noter qu’à l'exception des nouveaux Etats membres, peu de pays préservent leurs parts de marché. L'Allemagne souvent présentée comme l'exemple à suivre ne résiste pas à la tendance puisqu'elle accuse un repli de 8,2 %.
Si le rapport a le mérite de soulever de réels problèmes, Ecolo regrette la lecture partiale que la Commission fait du mandat qui lui avait été confié dans le « six-pack ».
En effet, le rapport n'évoque en rien les facteurs tels que la recherche et développement ou l'évolution de la facture énergétique, qui sont pourtant déterminants pour la compétitivité des entreprises et la situation financière des ménages. De même, les considérations liées à l'emploi ou au chômage sont laissées de côté. Par ailleurs, la Commission refuse d'examiner les pays qui enregistrent des surplus importants de leur balance commerciale, alors qu'elle s'y était engagée solennellement devant le Parlement européen ; cela avait d’ailleurs été la condition pour que nombre d'eurodéputés soutiennent la législation en question. Or, dans notre économie européenne où la grande majorité des flux commerciaux a lieu entre les Vingt-Sept, les surplus des uns entraînent les déficits des autres. Dès lors, attaquer certains pays pour leurs déficits extérieurs n'a aucun sens si dans le même temps, ceux en surplus ne sont pas incités à réduire leurs excédents, d'autant que pour un même pays, à un surplus important de la balance commerciale correspond une demande intérieure anormalement faible. La Commission elle-même, en janvier 2011, avait d'ailleurs invité ces pays à "identifi[er] les raisons pour lesquelles leur demande intérieure reste obstinément faible et pren[dre] des mesures pour y remédier" (Commission européenne, Examen Annuel de la Croissance, 2011).
A nouveau, la Commission ne donne pas suite à sa propre recommandation. Son approche très partiale des déséquilibres européens est d'autant plus surprenante que l'Organisation Internationale du Travail a tout récemment pointé que c'est la politique d'hypermodération salariale allemande qui explique une grande partie des maux que l'UE connaît aujourd'hui. (ILO, Global Employment Trends 2012, Box 4, p.46). Enfin, et dans le même esprit, la Commission n'examine pas les effets transfrontaliers des politiques menées dans certains pays qui peuvent être à l'origine de complications macroéconomiques chez leurs voisins.
En clair, l’Allemagne a exigé – et obtenu – d’être épargnée sur le principal critère d’analyse sur lequel sa politique macro-économique prête le flanc à la critique.
Parallèlement, on ne peut que constater l’extrême prudence de la Commission par rapport à la France, qui affiche des déficits publics élevés et persistants. Dans un contexte où le couple franco-allemand prend de plus en plus la tournure d’un directoire, il semble que ces deux pays jouissent d’un traitement d’exception par la Commission, ce qui ne peut que renforcer la méfiance des autres Etats-Membres, soumis à une surveillance rapprochée quand ce n’est pas à des plans d’ajustements structurels aussi socialement injustes qu’économiquement inefficaces.
Alors qu’une plus grande intégration européenne est plus que jamais indispensable, la Commission rend ainsi un mauvais service à l’Europe communautaire.