Les conclusions du Conseil Européen de la semaine dernière me frappent par leur asymétrie dans le traitement des cas biélorusse, chinois, russe et turc.
Les autorités de ces quatre États bafouent les libertés fondamentales et les principes mêmes de la démocratie, opposant la force du fait accompli au droit international.
Mais voilà pourtant que seul le régime de Loukachenko se voit infliger des sanctions qui veillent bien – comprenne qui pourra – à épargner l’autocrate, alors qu’il y a deux jours encore ses forces anti-émeutes arrêtaient 11 reporters et même une adolescente de 13 ans.
Face à la Chine, les chefs d’État et de gouvernement se refusent encore à ne fut-ce que nommer la minorité Ouïgoure, qui compte un million de personnes dans des camps de « rééducation ».
Face à la Russie, on se contentera de demander une enquête sur l’empoisonnement de l’opposant au régime de Poutine, Alexei Navalny.
Quant à la Turquie, elle se voit une fois encore invitée au dialogue, alors que de nombreux journalistes, universitaires et militants des droits humains font régulièrement l’objet de poursuites pénales ou sont emprisonnés.
Je crois aux vertus du dialogue. Mais je crois aussi qu’il faut savoir résister si l’on veut se faire respecter.
Or, la volonté de l’Union Européenne de résister est inversement proportionnelle à la dépendance qu’elle accepte vis-à-vis de ses voisins : dépendance commerciale à l’égard de la Chine, dépendance énergétique à l’égard de la Russie, dépendance en matière d’asile et de migrations à l’égard de la Turquie.
Nous devons donc retrouver les moyens d’une plus grande autonomie. La relocalisation de notre économie tout comme la transition énergétique vont dans ce sens. De même, une Union capable de prendre sa juste part dans l’accueil des réfugiés et migrants serait moins vulnérable au chantage des potentats à qui nous avons confié les clés de nos frontières. Et ce ne sont pas les propositions récentes de la Commission européenne qui nous feront sortir du mythe indigne de l’Europe-forteresse !
Plus que tout cela, ce qui dévalorise la parole de l’Union Européenne, c’est son incapacité à faire respecter, en son sein même, l’État de droit dont elle voudrait se faire le héraut à l’extérieur de ses frontières. Et qu’on ne s’y trompe pas, les atteintes aux libertés ne sont pas l’apanage des deux suspects habituels, la Hongrie et la Pologne pour ne pas les citer. La répression du droit de manifester en France et l’affaire Chovanec en Belgique rappellent qu’aucun État ne doit jouir d’une présomption d’exemplarité et que notre vigilance doit être permanente.
C’est là le sens de l’engagement résolu du Parlement Européen dans la négociation actuelle sur le budget de l’Union et son plan de relance. Nous voulons qu’enfin l’Union se dote d’un instrument efficace qui permette de faire respecter un principe simple : les bénéfices de l’appartenance à l’Union exigent le respect des fondements de la démocratie et de nos valeurs, à commencer par le respect de la dignité humaine, celle de tous les humains, présents et à venir, ici et ailleurs.
Une interdépendance plus équilibrée, une capacité à prendre ses responsabilités et une cohérence plus fortes avec les valeurs qu’elle proclame : voici les conditions d’une Union Européenne plus géopolitique. Mais, pour cela, encore faut-il se donner les moyens d’une action commune efficace, en affaires extérieures comme en matière budgétaire ou fiscale : la règle de l’unanimité met l’Union à la merci des points de vue les plus extrêmes. Il est temps d’en changer.
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Philippe