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L’agrobusiness récoltera-t-il le PACtole ?

14/10/2020
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Avec une enveloppe représentant plus d’un tiers du budget total de l’UE*, la Politique Agricole Commune (PAC) est sans doute l’un des instruments les plus importants de la politique européenne. En ce sens, cela va sans dire qu’elle devrait être l’un des moteurs de la transition écologique et solidaire en encourageant la transition vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la biodiversité.

Pourtant, la prochaine réforme de la PAC semble nous diriger vers l’un des plus grands échecs de cette législature. Pire, le projet de réforme tel que soumis au vote la semaine prochaine au Parlement européen risque de mettre en péril le projet même du Green Deal, et donc celui d’un futur durable et résilient pour l’Europe et la planète.

L’une des causes de la difficulté de réformer la PAC, comme le souligne un récent rapport de Corporate Europe Observatory, c’est la puissante influence des lobbys agricoles - tels que Copa-Cogeca - parfois tout aussi anciens que les institutions européennes.

Cette influence est le résultat d’un réseau d’intérêts construit au fil des années, non seulement auprès de la Commission** et du Conseil*** mais aussi auprès des ministères nationaux partout en Europe. Au Parlement européen, l’agrobusiness a également de nombreux alliés, notamment parmi les élus conservateurs (groupe PPE). Le cas le plus emblématique est celui de l’eurodéputé allemand Norbert Lins, qui préside la commission parlementaire de l’agriculture. Ce dernier est en effet peu attaché au devoir de diligence qu’exige sa fonction, puisqu’il n’hésite pas à soutenir publiquement des positions défendues par l’industrie agroalimentaire. Il est ainsi frappant de voir qu’une partie des parlementaires de l’aile droite considèrent ces lobbies davantage comme des partenaires dans l’élaboration de la législation que comme des défenseurs d’importants intérêts privés, au dépit de l’intérêt public.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi, aujourd’hui, le lobby de l’agro-alimentaire défend le statu quo : comme les subventions de la PAC sont liées à la surface de production des entreprises agricoles, les principaux bénéficiaires ne sont pas les petits producteurs mais plutôt les grandes entreprises et les multinationales. La conséquence, c’est une distribution extrêmement inégalitaire du budget : 20% des producteurs reçoivent aujourd’hui 80% des subventions de la PAC. Diverses investigations ont par ailleurs démontré que des millions d’euros de ces subventions font l’objet de détournements massifs dans les plus hautes sphères du pouvoir, opérées notamment par certains leaders européens corrompus et leurs proches, tels que Viktor Orbàn en Hongrie ou Babiš en République Tchèque, et cela sans réelles conséquences. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’en ce moment, les écologistes se battent pour conditionner l’octroi de financements européens au respect de l’état de droit.

Pour pallier à ces ‘déséquilibres’, la proposition de réforme de la PAC de la Commission, qui date encore de l’ère Juncker en 2018, suggère d’instaurer un plafond - déjà très élevé - aux aides octroyées, placé à 100.000€ par producteur. Cette proposition est actuellement bloquée par le Conseil, où les suspects habituels refusent ce plafond contraignant. Le résultat, c’est un système qui ne soutient pas les petits producteurs victimes de la course à la compétitivité des prix sur les marchés internationaux, mais continue à enrichir les oligarques et les multinationales.

Sur cet enjeu, la Commission fait preuve d’une totale schizophrénie. D’un côté, la nouvelle Commission von der Leyen a exprimé la volonté d’aligner la PAC avec les objectifs du Green Deal, et plus précisément aux objectifs de la stratégie dite « De la ferme à la table » et la stratégie en faveur de la biodiversité. À l’horizon 2030, celles-ci prévoient notamment de réduire de 50% l’utilisation de pesticides, de 20% l’utilisation d’engrais ou encore de tripler la part de l’agriculture biologique à 25% de la superficie agricole totale européenne.

Mais de l’autre côté, la Commission refuse d’actualiser la proposition de réforme de la PAC, qui - datant de 2018 – précède les objectifs du Green Deal et la Loi Climat. Au lieu, elle compte sur le Parlement européen et le Conseil pour renforcer l’alignement au Green Deal et ainsi verdir la politique agricole.

C’est l’inverse qui s’est produit. À l’issue des négociations au sein de la très conservatrice Commission parlementaire de l’agriculture, une coalition alliant les sociaux-démocrates S&D, les libéraux Renew et les chrétiens-conservateurs PPE s’est accordée pour accroître la flexibilité des Etats Membres dans l’allocation des aides, tant dans les montants distribués que dans les conditionnalités environnementales. Et comprenez bien que cette flexibilité accrue ne sera que rarement utilisée pour aligner les subsides avec la transition écologique et solidaire. De surcroît, le rapport de Corporate Europe Observatory affirme que les lobbys de l’agrobusiness et des pesticides et leurs alliés (politiques) se sont accordés pour accélérer la réforme de la PAC, précisément pour éviter l’alignement au Green Deal. On ne peut que confirmer leurs observations, car le vote au Parlement européen est déjà programmé pour la semaine prochaine.

En résumé, pour les Verts, la proposition actuelle de réforme de la PAC est inacceptable. Elle ne résout pas la distribution inégalitaire des subventions, et elle ne réoriente en aucun cas la politique agricole dans le sens de la transition vers un modèle alimentaire et agricole souverain et résilient. Au lieu de cela, une majorité des parlementaires semble vouloir inscrire cette ‘nouvelle’ PAC dans la continuation - voire l’aggravation - d’un modèle révolu, qui bénéficie aux grandes entreprises et asphyxie les petits producteurs, tandis que la transition vers l’agro-écologie se voit remisée au magasin des accessoires. C’est pour cela que nous avons déposé un amendement de principe qui rejette la proposition de la Commission (Juncker, pas von der Leyen, je le rappelle). S’il est peu probable que cet amendement obtienne une majorité, nous ferons une ultime tentative d’amender le texte. Le combat n’est donc pas tout à fait terminé, et les débats en plénière la semaine prochaine s’annoncent intenses

La PAC demeure avec la politique commerciale l’un des angles morts majeurs du Green Deal proposé par Ursula von der Leyen. Le combat à son sujet illustre par excellence la superficialité du ralliement de beaucoup de conservateurs, de socialistes et de libéraux à la transition écologique ; ce sont les mêmes qui, en début d’année, ratifiaient sans états d’âme le traité de libre-échange avec la dictature communiste du Vietnam. Plus que jamais, réussir la transition écologique et solidaire demeure un combat, encore loin d’être gagné, même si le courant dominant est en train de changer.

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Philippe

Lisez le rapport de Corporate Europe Observatory à l’adresse suivante :
https://corporateeurope.org/en/2020/10/cap-vs-farm-fork 

Notes:
* Le budget de la PAC est de 391.4 milliards d’euros sur sept ans !
** En 2014, Corporate Europe Obsevratory soulignait que dans les groupes d’experts de la Direction générale de l’Agriculture de la Commission européenne, 70% des sièges étaient occupés par des représentants de l’industrie agricole et alimentaire. La Copa-Cogeca, à elle seule, y préside huit des treize groupes.
*** En 2019, le New York Times révélait que Copa-Cogeca bénéficiait d’audiences privilégiées avec la président du Conseil en préparation des réunions du Conseil des ministres de l’agriculture, une pratique qui a été justifiée comme étant une question de « tradition ».

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