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Ursula von der Leyen présidente de la Commission Européenne : et après ?

22/07/2019
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Avec l’élection, mardi dernier, d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission Européenne s’achève le premier chapitre de la législature 2019-2024.

Au fil des années, je vous ai habitué-e-s à un billet quotidien sur cette page ; j’imagine que beaucoup d’entre vous ont dû s’interroger sur mon absence ces dernières semaines. Celles-ci ont été particulièrement intenses et le moment me paraît bien choisi pour faire le point pour vous.

Dans les mois qui ont précédé les élections européennes, il est devenu clair que les deux groupes - conservateurs du PPE et sociaux-démocrates de S&D - qui, jusqu’ici, détenaient ensemble une majorité absolue au Parlement européen allaient la perdre, alors qu’une progression des libéraux se profilait. Dans le même temps, la vague verte prenait forme en Europe nord-occidentale, ce qui laissait entrevoir un net progrès du groupe parlementaire que je préside. Le tout combiné avec la présence importante mais fragmentée des nationaux-populistes créait la perspective de la nécessité des Verts/ALE à la constitution d’une majorité stable au Parlement Européen.

Aussi avons-nous, bien avant les élections, préparé une négociation politique. Traditionnellement, entre PPE et S&D, la négociation post-électorale portait sur la répartition des postes, étant entendu que le cap politique - en bref, la mondialisation néo-libérale - était fixé par le premier groupe avec l’assentiment du second. Si nous devions être associés à une négociation, il était clair que la question première serait : pour quoi faire ? Plus spécifiquement, les Verts ne pourraient apporter leur concours à une majorité que si le projet politique marquait un net changement d’orientation, faisant de la transition écologique et solidaire l’axe principal des politiques menées.

Le 29 mai, le nouveau groupe des Verts/ALE, formé de 75 euro-députés dont 50 nouveaux venus, se réunissait. Il marquait sa confiance envers le travail de préparation réalisé par le groupe sortant et décidait d’engager une négociation à quatre : PPE, S&D, libéraux (anciennement ALDE, aujourd’hui Renew Europe ou RE) et nous. Le plan A consistait pour nous à ce qu’une majorité à quatre se mette d’accord à la fois sur une feuille de route politique pour les cinq ans à venir et sur un-e candidat-e pour l’incarner à la tête de la Commission européenne. Face à une telle majorité (forte de 515 eurodéputés sur 751), le Conseil Européen (les 28 chefs d’État et de gouvernement) n’aurait sans doute eu d’autre choix que d’accepter. Ceci aurait constitué un substantiel progrès démocratique puisque l’orientation politique de la Commission aurait principalement été déterminée par le résultat du vote démocratique.           

Si nous étions prêts à négocier dès la première semaine après les élections - tout comme le PPE - c’était loin d’être le cas des socialistes et des libéraux. Les uns comme les autres étaient d’abord confrontés à d’importants rééquilibrages internes, consécutifs aux résultats des élections : les Espagnols du PSOE devenaient la plus grande délégation nationale au sein de S&D tandis que les macronistes prenaient la main au sein de RE. Nous avions dans l’immédiat affaire avec les directions sortantes de ces groupes, sans réel mandat de négociation. Par ailleurs, il est rapidement devenu clair que leur objectif était de faire capoter le plan A : pour les socialistes comme pour les libéraux, le succès de la négociation risquait d’entraîner automatiquement la présentation du candidat PPE - Manfred Weber - à la tête de la Commission au détriment de leurs champions respectifs. 

Il a donc fallu attendre deux semaines pour que la négociation s’engage. Nous l’avons structurée en cinq groupes de travail - 1. environnement, 2. socio-économique, 3. innovation & digital, 4. affaires intérieures et migration, 5. affaires extérieures y compris commerce international - chacun d’entre eux réunissant deux négociateurs.trices pour chacun des quatre groupes. À cela s’ajoutait un groupe faîtier, réunissant les président.e.s de groupe, pour traiter des questions transversales et institutionnelles. Dans ce dernier groupe ainsi que dans le groupe environnement, les Verts assumaient la direction des travaux. Ce processus était une première au Parlement européen et si nous nous y étions bien préparés, ce n’était pas le cas des autres groupes, qui ont dû plus largement improviser au fil des semaines. À la fin juin, le travail avait été pratiquement achevé sur un texte commun au niveau faîtier ; il était presque achevé (mis à part la question hyper-sensible du commerce international) dans le groupe 5 tandis que de nombreux points de divergence majeurs demeuraient dans les groupes 1 à 4.  

En parallèle, le Conseil européen, focalisé sur l’allocation des postes les plus importants, les fameux « top jobs » de l’UE (sa propre présidence et celles de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne, du Parlement européen (!) et celui de haut représentant pour les affaires étrangères), s’était déjà réuni à deux reprises, sans succès. La difficulté principale résidait dans le fameux processus dit des « Spitzenkandidaten »[1].

Cette année, le PPE avait désigné Manfred Weber, son chef de groupe au Parlement Européen ; S&D Frans Timmermans, 1er vice-président de la Commission Européenne, les Verts un duo formé de ma co-présidente Ska Keller et du Néerlandais Bas Eickhout. Les libéraux, sous la pression d’Emmanuel Macron, foncièrement hostile au processus et plus largement à la logique parlementaire, avaient tourné casaque et renié leur engagement de 2014. Mais dans cette famille où les personnalités poursuivent leurs ambitions individuellement, la Danoise Margarethe Vestager s’était illustrée néanmoins comme candidate. Au sein du Conseil, les socialistes menés par le premier ministre socialiste espagnol Pedro Sanchez et les libéraux menés par Macron avaient fait objectivement alliance pour barrer la route au candidat PPE Manfred Weber, avec des motivations différentes : offrir le poste à Frans Timmermans pour Sanchez, anéantir la procédure des Spitzenkandidaten pour Macron. Au final, c’est ce dernier qui a su tirer les marrons du feu. En effet, la candidature de Timmermans fut officiellement bloquée par les pays d’Europe centrale et orientale, qui redoutaient son zèle sur la question du respect de l’État de droit. En réalité, cela arrangeait le président français, qui proposa alors à Angela Merkel de désigner sa propre ministre de la défense, Ursula von der Leyen, comme candidate. Le PPE pourrait ainsi conserver la présidence de la Commission, mais au prix d’y installer une personnalité suggérée par le président français et qui devait toute sa carrière politique à la chancelière allemande.

L’accord intervenu au Conseil le 2 juillet rendait le processus de constitution d’une majorité parlementaire à quatre vide de sens. Comme je le racontais plus haut, le plan A avait été torpillé, à l’initiative des socialistes et des libéraux. Le plan B consistait alors à ce que l’accord de majorité exprime le programme politique que le ou la candidat-e proposé-e par le Conseil devrait s’engager à appliquer pour obtenir le soutien des quatre groupes politiques afin de devenir président. Mais voilà, si nous avions bien été consultés par Donald Tusk, le président du Conseil Européen, l’accord obtenu le 2 juillet excluait de facto les Verts/ALE, réservant tous les postes à responsabilité à des membres des trois autres familles politiques autour de la table de la négociation du Parlement. Nous avons alors posé la question du sens que la poursuite de cette négociation aurait, dès l’instant où il était impensable que les conservateurs, les socialistes ou les libéraux conditionnent encore leur soutien à Ursula von der Leyen à son acceptation du programme négocié au Parlement. Nous étions devenus les seuls à croire encore au plan B, devenu ainsi caduc. Par ailleurs, nous avions toujours été clairs avec nos partenaires que si pour nous, la question du programme politique était première, nous exigerions notre part des postes à responsabilité : il n’était pas question pour nous de conclure un accord politique à quatre pour en abandonner l’exécution à nos trois partenaires.  

Il y a une dizaine de jours, ma co-présidente et moi rencontrions pour la première fois Ursula von der Leyen. Cette rencontre, fort courtoise, nous laissa voir une personne sincère et de bonne volonté, mais dépourvue de capital politique européen. Certes, elle aimerait disposer du soutien des Verts/ALE, mais elle semblait d’emblée manquer de toute détermination à l’obtenir. Ceci fut confirmé lors de son audition désastreuse par notre groupe politique (visionnable sur le site Verts/ALE) : des réponses floues, générales, des erreurs factuelles ou des positions inquiétantes (par exemple sur le principe de précaution). C’est à la suite de cette audition que notre groupe a pris la décision de s’opposer à sa candidature. Les raisons de ce choix sont de quatre ordres :

  1. Ursula von der Leyen n’a jamais participé au scrutin européen. Même si elle est fille de fonctionnaire européen, elle débarque à Bruxelles sans capital politique européen. Toute sa carrière politique a été réalisée en Allemagne et elle n’a aucun ancrage, aucune expérience des institutions politiques européennes.  
  2. De son propre aveu, elle doit toute sa carrière politique à la chancelière Merkel et sa nomination à Bruxelles à Emmanuel Macron. Peut-on sérieusement penser qu’elle aura la stature pour prendre des positions ou des initiatives qui contrarient les intérêts bien compris des États, en particulier l’Allemagne et la France ?  
  3. Sur le fond, et en particulier sur toutes les questions liées à la transition écologique et solidaire ainsi que sur la défense de l’État de droit et des libertés fondamentales, elle ne nous a pas apporté la preuve de convictions solides et enracinées. Ses réponses ont été superficielles et changeantes.         
  4. Au-delà de déclarations sympathiques, elle n’a montré aucune détermination à obtenir la participation des Verts/ALE à sa majorité. En clair, nous sommes « nice to have » et pas « must have ». Autrement dit, elle ne nous a pas semblée prête à payer le prix (en termes de politiques et en termes de répartition des postes) de notre participation.       

Elle se présentait cette semaine en plénière. Le contraste avec ses prestations de la semaine dernière fut saisissant. Outre un talent oratoire qui la distingue très favorablement de son prédécesseur Jean-Claude Juncker, elle est allée un peu plus loin dans le concret. Tout en tentant de rassurer sa base conservatrice, elle a envoyé des signaux dont le but était de s’assurer du vote socialiste et libéral mais aussi d’obtenir les nôtres.

Il faut lui reconnaître d’avoir repris à son compte quelques propositions taboues pour sa famille politique : un système européen de réassurance-chômage, une taxe carbone aux frontières ou une réduction de 50% (l’engagement sur 55% reste hypothétique) de nos émissions de CO2 pour 2030. Mais sur la plupart des sujets, les propositions demeurent floues, de manière à ce leur concrétisation puisse en réalité ne rien changer. Ainsi, l’idée d’une « banque climat » au sein de la Banque Européenne d’Investissement est intéressante : mais s’il s’agit simplement de filialiser la partie énergies renouvelables (20% des prêts en matière énergétique) des prêts de la BEI tout en maintenant le flux massif de prêts aux énergies fossiles (80%) au sein de la maison mère, qu’est-ce que cela changera ? De même, tout ce qu’elle a dit sur la question de la zone euro ou sur les traités de libre-échange consiste essentiellement à défendre le statu-quo.

Plus inquiétant est son silence absolu sur la Politique Agricole Commune, désastre sur le plan du climat, de la biodiversité ou de l’épuisement des ressources. Elle nous a clairement signifié que sa remise en cause demeurait taboue. Ou encore son idée d’inclure les secteurs de la construction et surtout du trafic automobile dans le système ETS (marché de droits d’émission de CO2) résulterait en réalité en un relâchement de la pression sur le secteur automobile. En effet, celui-ci est régi par des normes d’émission contraignantes ; pour obtenir le même effet via le système ETS, il faudrait que le CO2 coûte plusieurs centaines d’euros la tonne, ce qui est totalement improbable.

Nous avons donc décidé de maintenir notre position en s’opposant à sa désignation. Ceci n’a pas empêché son élection, mardi soir, par une très courte majorité de 383 voix là où 374 étaient nécessaires. Ce résultat est sidérant, dans la mesure où les trois partis de la majorité - PPE, S&D et RE - disposent ensemble de 444 voix et qu’au moins les nationaux-populistes polonais du parti Droit et Justice (PiS) et les anti-système italiens du Mouvement 5 Etoiles (M5S) ont en outre voté pour elle. En clair, les défections au sein même des trois groupes majoritaires ont été telles que sans le soutien de ces deux groupes, peu fiables, Ursula von der Leyen n’était pas élue.

Le résultat du scrutin confirme ainsi ce que j’affirmais au soir des élections européennes : il n’y a pas de majorité pro-européenne stable au Parlement européen sans les Verts/ALE. Et ne pas constituer une telle majorité stable revient à laisser les nationaux-populistes, même divisés, faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, selon les textes, autrement dit à leur donner les clés de la maison Europe. Cela, nous le refusons. C’est pourquoi nous avons fait savoir à Ursula von der Leyen que si elle désire asseoir son mandat sur une majorité plus solide, nous demeurons disponibles pour engager une véritable négociation et à reprendre, cette fois avec elle, le fil d’un processus interrompu voici deux semaines. La balle est dans son camp mais le temps nous est compté.

Résultat de l'élection d'Ursula VON DER LEYEN à la présidence de la Commission européenne

 

Impressions de négociation

Les négociations à quatre ont été révélatrices quant à la manière dont les Verts sont considérés par nos partenaires. Du côté socialiste, cet épisode a confirmé une condescendance profondément enracinée. Ainsi, lorsque nous refusons une pré-négociation bilatérale avec eux, nous sommes aussitôt qualifiés en interne de suppôts du PPE (sur le thème bien connu de « qui n’est pas avec nous est contre nous »). Ou lorsque le premier ministre espagnol Pedro Sanchez nous déclare que s’il nous veut à bord, il ne peut être question de nous faire participer à la distribution des postes, car si à trois, c’est déjà très compliqué, à quatre, ce serait impossible. Ou encore quand le Spitzenkandidat Frans Timmermans nous explique que s’il n’a jamais pris contact avec nous (tout en affirmant haut et fort que les Verts voteront pour lui), c’est parce que de toute manière nous sommes d’accord sur tout (ce qui est d’autant plus frappant que cela vient d’un des représentants les plus en vue du socialisme converti au néo-libéralisme).        
           
Du côté des libéraux, pilotés de plus en plus évidemment par Emmanuel Macron, il y a cette prétention, alimentée en particulier par les transfuges de l’écologie politique, à incarner l’écologie réelle, celle qui sait faire des compromis et faire avancer la cause, par opposition aux intégristes que nous serions. Il y a aussi cette attitude, encore perceptible lors du vote sur la présidente de la Commission, que si nous sommes de vrais pro-européens, nous devons voter avec le « camp » pro-européen, même si nous n’obtenons rien de concret. D’un côté comme de l’autre, on sent cette volonté de vouloir se mettre les Verts dans la poche, afin de pouvoir gonfler sa propre importance. 

Reste alors le PPE, dont nous sommes idéologiquement les plus éloignés mais qui, peut-être à cause de cela, nous considère comme un partenaire à part entière. Alors que tant les libéraux que les socialistes tendent à nous considérer comme des auxiliaires, les conservateurs ont vite compris que nous sommes indispensables. Ils sont, des trois, les partenaires de négociation les plus coriaces mais aussi les plus sérieux et les mieux préparés. Avec eux, la relation est à la fois plus simple, car ils nous respectent, et plus compliquée, car nous sommes les plus éloignés les uns des autres. 

 

Crédit photo : Parlement européen

 


 

[1] Voici cinq ans, les principales familles politiques du Parlement européen s’étaient mises d’accord pour désigner chacune une ou deux figures de proue qui mèneraient une campagne transnationale (sans pourtant qu’existent des listes transnationales que ces personnalités mèneraient) pour les élections européennes, étant entendu que la personnalité de la famille arrivée première deviendrait naturellement candidate à la présidence de la Commission. Ce fut alors le cas avec la désignation par le Conseil de Jean-Claude Juncker, figure de proue du PPE, à la tête de la Commission.

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