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Soulèvement au Soudan : c'est en soutenant la démocratie, pas la dictature, que la région sera stabilisée.

20/03/2019
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La dernière fois que le Soudan a été évoqué dans le débat public belge est lorsqu'en septembre 2017 l'ex-secrétaire d'Etat Theo Francken avait ouvertement affiché sa collaboration avec les autorités de ce pays, que fuient de nombreux de ses ressortissants. Et ce n'est pas par hasard : cela fait trente ans que le Soudan vit sous la férule du régime dictatorial du président Omar al-Bashir, inculpé par la Cour Pénale Internationale pour dix chefs d'inculpation (cinq de crimes contre l'humanité, deux de crimes de guerre et trois de génocide). Mais voilà, dans le droit fil de l'accord de 2016 entre l'UE et la Turquie de l'autocrate Recep Tayyip Erdogan, de notre collaboration avec les autorités légitimes (?) de la Libye, avec la dictature du maréchal al-Sissi en Egypte ou encore avec notre ami le roi du Maroc, l'Union Européenne et ses États membres ont pris l'habitude de ménager le maître du Soudan. A leurs yeux, ces régimes sont cruciaux dans "la lutte contre les causes des migrations", une perversion du langage qui signifie que tout doit être fait pour que ces pays verrouillent leurs frontières pour y enfermer celles et ceux qui veulent s'en échapper. Ainsi, comme le dénonçait Kobani, un réfugié soudanais en visite au Parlement européen, l'argent européen de la coopération au développement finance, directement ou indirectement, ces mêmes milices qui furent autrefois le bras armé du génocide au Darfour, province occidentale du Soudan.
A la fin décembre 2018, le peuple soudanais a commencé un soulèvement pacifique visant à rétablir la démocratie et l'état de droit dans le pays. Ce soulèvement touche aujourd'hui quasi tout le pays, et il est réprimé à la manière habituelle par Omar al-Bashir : à balles réelles. Je recevais ce matin au Parlement, par l'intermédiaire du European Center for Peace in Horn of Africa, une délégation de l'Initiative Soudanaise en Europe (Sudanese Initiative Europe). Lancée par des membres de la diaspora soudanaise sur notre continent, elle a pour objectif d'apporter son soutien à une transition démocratique au Soudan. Elle se veut la voix du soulèvement en Europe et contribuer à une réorientation de la politique des européens à l'égard du régime soudanais : de soutien implicite à son maintien, elle doit devenir un soutien à la transition.
Inutile de dire que ce n'est pas partie gagnée; dans une rencontre récente avec la Haute Représentante de l'UE pour les affaires extérieures, j'avais interpellé Federica Mogherini sur son silence assourdissant quant aux violations massives des droits humains commises dans les pays que j'évoquais plus haut, alors qu'elle est intarissable sur l'Iran, la Russie ou le Venezuela. Elle m'avait répondu par ce même silence assourdissant. Comme disait l'ancien président américain Roosevelt du dictateur nicaraguayen Somoza (dont le fils fut renversé par l'actuel dictateur Ortega), "he may be a son of a bitch, but he is our son of a bitch". Quant un dictateur ou un autocrate nous est "utile", on lui fiche la paix...
Notre conviction est au contraire que si nous voulons éviter que des femmes et des hommes doivent quitter de force leur pays, nous ne devons ménager aucun effort pour que l'on puisse y vivre dignement. Et si les européens ne peuvent pas tout, nous avons beaucoup de leviers pour y contribuer : lutter avec force contre le dérèglement climatique, cesser de soutenir, y compris par des ventes d'armes ou d'équipement à usage répressif, des régimes répressifs, éviter d'alimenter les conflits armés, revoir fondamentalement les termes de notre commerce avec les États du Sud etc...

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