Hier soir, les eurodéputés de la commission Emploi du Parlement européen ont arrêté leur vision de la nouvelle directive sur le détachement des travailleurs. La première directive de 1996 censée organiser de manière harmonieuse la mobilité des travailleurs envoyés pour une durée limitée dans un autre Etat membre pour accomplir une mission professionnelle était mal fichue. Ses failles sont à l’origine d’une intensification du dumping social ; on a ainsi observé une augmentation de 40% de travailleurs détachés entre 2010 et 2015.
Les eurodéputés ont donc ponctué hier un travail de 18 mois de fort belle manière! D’autant qu'il est bon de se rappeler que les pronostics étaient plutôt mauvais il y a un mois d'ici. J’avais d’ailleurs écrit une tribune à ce sujet avec mon collègue de Groen, Bart Staes: http://www.lalibre.be/…/l-heure-de-verite-sur-le-detachemen…
Ce nouveau texte vient préciser et fixer les conditions de travail et salariales qui s’appliqueront aux travailleurs détachés de manière à assurer « un salaire égal pour un travail égal ». Les travailleurs détachés qui n’ont légalement droit qu’au salaire minimum en vertu de la vieille directive, se verront reconnaître leur ancienneté, leurs qualifications, etc... et rémunérer en fonction. Les frais de logement et de déplacement seront clairement à la charge de leur employeur. Autre avancée notable : les États membres pourront d'ailleurs déterminer des règles plus strictes en rendant les accords collectifs sectoriels ou régionaux applicables. Pour que ces règles soient pleinement efficaces, les États membres devront créer un site internet d’information à destination des employeurs.
La durée du détachement à partir de laquelle les règles du pays d’accueil seront pleinement applicables est de 24 mois, ce qui peut sembler (trop) long. Mais disons-le clairement, ce point est d’importance mineure au regard des progrès obtenus. Par ailleurs, la durée effective des détachements étant en moyenne de trois mois, limiter la durée reconnue dans la directive à 1 an ou 6 mois n’aurait pas vraiment changé la donne.
Le nouveau texte prévoit également des règles pour lutter contre le phénomène de « faux détachement » lequel s'apparente juridiquement à une « mise à disposition » qui est interdite en Belgique. Il s'agit d'une situation où le travailleur est « à la merci » du nouvel employeur, ce qui donne lieu à des abus et fraudes. Lorsque qu’un sous-traitant entrera en scène à la demande de l'employeur principal, les conditions de travail en vigueur pour les travailleurs du sous-traitant seront celles décrites ci-dessus. Les scandales à répétition, comme dans le secteur de la construction où les ouvriers sont sous-payés et pas/peu protégés, ne devraient plus se produire.
Enfin, et ceci n’est pas négligeable, la base légale a été étoffée. Késako ? La base légale est l’article du Traité auquel se raccroche la directive. En cas de litige devant la Cour européenne de Justice, celle-ci prend sa décision en essayant de coller au plus près de l’esprit du Traité. Or, la vieille directive n’était rattachée qu’au marché intérieur. Désormais, et c’est une avancée majeure, les juges européens pourront également se tourner vers le chapitre « politique sociale » du Traité, ce qui devrait permettre de renforcer la protection des travailleurs et de lutter contre la concurrence sociale déloyale.
Et les travailleurs du transport routier - pensons aux Roumains, Slovaques, Tchèques, Polonais - sont-ils concernés par cette directive ? Oui, clairement oui même si, en raison de la spécificité du secteur marqué par une forte mobilité, la mise en oeuvre des règles édictées ici sera précisée pour tenir compte du contexte particulier. Preuve en est : un amendement déposé par l’ALDE, le groupe présidé par le « pro-européen » Verhofstadt, demandant l'exclusion du secteur routier du cadre d'application de la directive a été rejeté à une écrasante majorité.
Ce rapport conçu sous la houlette d’Elisabeth Morin-Chartier, PPE française, et d’Agnes Jongerius, socialiste ancienne cheffe du syndicat néerlandais FNV, a été voté à une majorité de 32 voix contre 8 et 13 abstentions. Je tiens à saluer le travail de ma collègue écologiste allemande Terry Reintke et de son équipe, dont les contributions ont véritablement fait la différence, notamment sur le « faux détachement » et la reconnaissance des accords collectifs régionaux/sectoriels.
Prochaine étape : la confirmation en séance plénière du Parlement la semaine prochaine et la négociation avec le Conseil où l’on espère que Kris Peeters, ministre belge de l'Emploi et de l'Economie, soutiendra cette position.