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Juncker vs Tajani : quelques clarifications

06/07/2017
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Strasbourg, le 6 juillet 2017

L’altercation qui s’est produite ce 4 juillet entre le Président de la Commission européenne et celui du Parlement européen restera dans les annales de Strasbourg. Alors que débutait la discussion sur le bilan des six mois de présidence européenne de Malte, M. Juncker a vertement tancé l’institution parlementaire en déplorant que, pour ce débat, une trentaine d’eurodéputés seulement (sur quelque 750) soient présents dans la salle. Selon lui, les rangs décimés témoignaient d’un désintérêt, voire d’un mépris des parlementaires pour un « petit » pays de l’UE, et ceux-ci se seraient montrés autrement plus assidus si à la place du premier Ministre maltais Joseph Muscat s’étaient trouvés Emmanuel Macron ou Angela Merkel.

Sur le fond, M. Juncker a raison de protester contre le traitement différencié accordé aux pays selon leur taille démographique ou leur poids économique. Le Parlement se plaint souvent de n'être pas respecté par le Conseil (c'est-à-dire par les Gouvernements des États-Membres); il lui appartient aussi de montrer son respect en assurant une présence plus que minimale lorsqu'un chef d'État ou de gouvernement nous rend visite, comme ce fut trois fois le cas du premier Ministre Joseph Muscat pendant la présidence maltaise. En ce qui concerne le groupe des Verts/ALE, nous nous assurons en tout cas qu'au moins un des deux coprésidents, Ska Keller ou moi-même, soit présent pour ces séances. Ce matin-là, j'étais le seul chef de groupe dans la salle...

Cependant, il ne faudrait pas en venir trop vite à des constats simplistes : les absents n'ont pas toujours tort ! Il existe du moins plusieurs raisons valables pouvant expliquer l'absence de certains députés lors des séances plénières.

En prélude, reconnaissons que les débats qui font le point sur les réalisations du passé ne sont pas les plus intéressants. Le passé est ce qu’il est et on ne le changera pas. À contrario, les débats qui prennent comme toile de fond la présentation des priorités du pays qui prend la présidence (depuis début juillet, c’est l’Estonie qui assume cette responsabilité) sont politiquement importants car c’est l’occasion pour les eurodéputés de montrer de quel bois ils se chauffent et d’affirmer leurs attentes et priorités. Ensuite, il s’agit ici d’un débat au cours duquel aucune décision ne sera prise et qui ne fera pas l’objet d’un vote. Donc, sauf à prendre part aux échanges comme ce fut mon cas ce matin (j’adressais de vives critiques à M. Muscat en raison des soupçons qui pèsent sur des proches en matière de blanchiment d’argent et sur le pays tout entier en tant que paradis fiscal), le moment ne présente pas un énorme intérêt politique ou stratégique.

Mais que font alors les absents ? En profitent-ils pour faire la grasse matinée, pour boire un coup à la buvette avec les copains ou se promener dans les rues ensoleillées de cette magnifique ville qu’est Strasbourg ? Bien sûr que non. Les eurodéputés profitent d’être réunis sur un même lieu au même moment pour discuter en face à face ou dans des groupes de travail de compromis permettant de faire avancer un dossier (après ce débat sur Malte, je me suis éclipsé pour participer à des négociations sur un texte traitant de la lutte contre les inégalités comme instrument pour créer de l’emploi et de l’activité ; j’ai donc dû « brosser » le point suivant à l’ordre du jour). De même, il y a aussi d’innombrables réunions thématiques qui sont propres à chaque groupe politique et qui permettent de façonner la position que nous tiendrons collectivement sur tel ou tel sujet. En l’occurrence, à l’heure d’écrire ces lignes, se tient le groupe de travail des Verts sur les questions numériques où sont abordées des sujets comme le commerce en ligne ou la protection des données.

Rappelons encore que, si les eurodéputés se réunissent en session plénière à Strasbourg, l’essentiel du travail, la partie immergée de l’iceberg, a lieu à Bruxelles. C’est en effet à Bruxelles que se tiennent les réunions des commissions thématiques parlementaires : au nombre de 22, elles regroupent 40 à 50 députés chacune. Au cours de ce mandat, je siège dans la commission qui traite de l’économie et des finances (ECON) tandis que mon collègue et ami de Groen, Bart Staes, suit celle qui se penche sur l’environnement et la santé (ENVI) et celle du contrôle budgétaire (CONT). C’est «le cœur de la machine». Sans oublier ces réunions de négociations dont je parlais précédemment et que dans le jargon, nous appelons « shadow (meetings) » : des eurodéputés, un par groupe politique, négocient en petit comité un texte et lorsque l’on estime qu’on a atteint suffisamment de convergence de vues ou que l’on ne peut aller plus loin, le texte « monte » en commission parlementaire. Des amendements sont posés et votés. Enfin, l’adoption officielle intervient à Strasbourg.

Vous voyez ainsi que l’absentéisme apparent des eurodéputés à Strasbourg peut paradoxalement être le signe qu’en parallèle, un travail indispensable est réellement fourni.

Photo à la une: sur la base de deux images © European Union 2016 - European Parliament

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