La Commission publie aujourd’hui un énième document visant à relancer le débat sur le renforcement de la zone euro. La crise économique qui a exposé les fragilités de nombre de pays dont certains (Espagne, Irlande) présentés successivement comme des modèles à suivre par les autres États membres nous a fait ouvrir les yeux sur les imperfections de la zone euro. Ouvrir les yeux n’a cependant pas empêché la majorité des décideurs de continuer à enfouir leur tête dans le sable. Après un premier rapport en 2012 rédigé sous la férule de Barroso, concurrencé (!) par un rapport produit sous la houlette de Van Rompuy, puis plus récemment le rapport dit des « cinq Présidents » (des institutions européennes), nous voici donc en présence de nouvelles propositions censées remettre la zone euro sur pied d’ici 2025. Nous avons donc perdu une demi-décennie depuis les premiers travaux.
Le risque d’une zone euro à deux vitesses est évident et grave. Or, une telle divergence ne peut que nuire à l’intérêt général et au contraire profiter aux nationalistes. D’où l’accent mis sur la convergence entre pays et les instruments pour soutenir cette dynamique. À cet égard, la Commission veut que la dimension « zone euro » soit mieux prise en compte dans la définition et le suivi des politiques nationales (semestre européen) et que des critères de convergence (dont les investissements dans l’éducation et la formation, la libéralisation des marchés ou la qualité des dépenses publiques auxquels on pourrait adjoindre des minima sociaux) et incitants financiers soient mis en place. Les fonds structurels européens pourraient y concourir mais cela ne suffira pas. C’est pourquoi la Commission revient avec l’idée d’un instrument de stabilisation macroéconomique de la zone euro pour aider les pays confrontés à un choc économique trop important. Cet instrument devrait voir le jour d’ici moins de dix ans, ce qui est ambitieux considérant l’enjeu et les montants concernés. La Commission met sur la tale 3 options: un instrument financier visant à aider à maintenir les investissements publics, un fonds d'assurance chômage UE ou un fonds de réserve pour les temps difficiles. À terme, cela pourrait même être l’embryon d’un budget propre à la zone euro. Le dispositif qui permettrait de mieux organiser la politique budgétaire au niveau de la zone euro serait conçu de façon à éviter des transferts permanents entre pays et à décourager des comportements laxistes de la part de l’un ou l’autre. La Commission s’engage à revenir sur le sujet à l’occasion d’un document plus spécifique. Quant à la fiscalité, la Commission se borne à évoquer un souhaitable « alignement des cadres nationaux de la taxation des entreprises ». Sans évoquer une harmonisation des taux d’imposition et la fixation d’un taux minimum.
Dans le secteur financier, la Commission veut s’attaquer au problème des crédits défaillants, c’est-à-dire les crédits dont on a de bonnes raisons de penser qu’ils ne seront pas remboursés par les débiteurs auprès des banques. Or, ces crédits, pris de manière cumulée, représentent énormément d’argent et cela pèse sur le bilan des comptes et donc, sur le potentiel développement économique de la zone euro. On attend des ministres de l’Économie qu’ils prennent des décisions au cours des prochaines semaines.
La Commission n’en démord pas, et à juste titre : il faut instaurer un filet de sécurité budgétaire (fiscal backstop) pour éviter qu’en cas de risque d’effondrement d’une banque, ce soient les contribuables qui paient la note. Le secteur doit cotiser pour alimenter un fonds spécial d’intervention. Des législations ont déjà été prises mais dans l’hypothèse d’une catastrophe touchant plusieurs grandes banques, les protections conçues s’avéreraient insuffisantes. Les États membres indiquaient dès 2013 leur volonté d’aller en ce sens, volonté qu’il faut désormais concrétiser. Ensuite, un système européen de garantie des dépôts (EDIS dans le jargon) protégerait mieux et de manière harmonisée dans toute la zone euro l’argent que les épargnants placent en banque. Idéalement, ces mesures devraient être agréées avant 2019 de manière à être pleinement opérationnelles d’ici 2025.
Avec la diversification des sources de financement (les banques s’arrogeant la part du lion), la réduction et le partage des risques sont également au cœur de l’Union des Marchés des Capitaux qui ne concerne que le secteur privé. Avec le Brexit qui se profile à l’horizon, l’Union des Marchés des Capitaux qui est sur le métier depuis l’arrivée de la Commission Juncker revêt une certaine urgence.
Afin de casser les liens trop étroits entre les banques et les États qui furent à l’origine de la spirale négative des premières années de la crise, la Commission propose un recours plus systématique à un nouveau type d’actifs financiers moins risqués (Sovereign bond-backed securities). Une autre piste également à l’étude consisterait à remettre en question le traitement préférentiel des bons d’État dans la comptabilité de manière à désinciter les banques à s’en porter acquéreurs et à privilégier des titres du secteur privé.
Contrairement aux États membres, la zone euro ne peut à l’heure actuelle émettre des bons du trésor, des obligations, que ce soit pour se financer elle-même, pour réduire les coûts de financement des pays de la zone ou pour fournir aux agents économiques des titres sûrs qui permettent d’abaisser le coûts du crédit et de stabiliser les marchés lors des mauvaises périodes économiques. Timidement, la Commission remet la question sur le tapis mais on sent qu’elle prend des précautions pour ne pas faire de vagues vues la sensibilité et la complexité du sujet. Le lecteur attentif des 40 pages n’aura pas manqué de remarquer que la question de la mutualisation des dettes publiques (qui avait pourtant fait l’objet d’une communication en) a complètement disparu !
La Commission n’exclut pas non plus de se réformer : elle propose que le suivi des politiques économiques et budgétaires de la zone euro et de ses pays membres (dont elle a aujourd’hui la charge) soit regroupé au sein d’un Trésor (zone-)européen. Celui-ci exercerait aussi les compétences d’autres organes européens (comme le Mécanisme Européen de Stabilité) et serait également responsable de l’émission des titres de la dette publique de la zone et de gérer l’instrument de stabilisation macroéconomique. Le Trésor serait placé sous la responsabilité du nouveau super ministre de l’Économie et des Finances de la zone euro (voir ci-dessous). Une autre possibilité consisterait à faire évoluer l’actuel Mécanisme Européen de Stabilité en Fonds monétaire européen dont la mission serait de garantir la stabilité financière de la zone et de fournir une assistance financière aux États qui en ont besoin.
Les Verts avaient contribué au débat sur la zone euro en adoptant un ensemble de propositions (dont un résumé peut être trouvé ici : https://www.greens-efa.eu/en/article/still-time-to-reform-the-euro-area/)
Plusieurs idées que nous et d’autres avions formulées sont reprises par la Commission, comme la nécessité de mettre en place un instrument de stabilisation ou le fait que l’Eurogroupe actuellement présidé par un ministre des Finances (après Juncker à plusieurs reprises, le néerlandais Dijsselbloem) soit désormais présidé par un vice-président de la Commission. Cette fusion des rôles pourrait donner lieu à la création d’un poste de Ministre de la Zone euro. Tout cela doit aller de pair avec une plus grande légitimité et responsabilité qui proviendra d’un plus grand contrôle de la part du Parlement européen. De l’aveu du Commissaire à l’Économie, Pierre Moscovici, cette proposition doit se concrétiser d’ici aux prochaines élections du PE.
Enfin, la Commission souhaite que l’Eurogroupe rende également des comptes devant le Parlement européen (ce qui serait une sage décision lorsque l’on repense à la manière peu courtoise avec laquelle son président, Jeroen Dijsselbloem, a balayé à cinq reprises une invitation à s’exprimer devant les européens). Cette proposition ainsi que la formalisation de la coopération entre les Parlement européen et les autres institutions intervenant dans la conduite de la zone euro devrait intervenir avant les prochaines élections de 2019.
Pour conclure le registre démocratique, la Commission ne désespère pas que la zone euro siège en lieu et place des États membres au Fonds monétaire international d’ici à 2025, soit avec un retard de près de 30 ans sur l’horaire initialement prévu.
Pour conclure, notons bien que la Commission ne fait ici aucune proposition très concrète ; l’objectif de sa communication consiste à dégager des lignes de convergence et lorsque celles-ci seront identifiées, on pourra rentrer dans le vif du sujet en discutant précisément des rouages des dispositifs à mettre en place. Et l’on sait que tout cela sera complexe dans la mesure où beaucoup de propositions sont sur la table, que certaines sont interdépendantes et que leur séquençage est important. Ainsi, si certaines idées peuvent voir le jour rapidement car elles relèvent de la volonté politique, la consolidation et la démocratisation de la zone euro prendra du temps. Mais la balle est désormais dans le camp des États membres qui ne peuvent se permettre de perdre davantage de temps.