La fin décembre est toujours un moment important pour dresser le bilan de l'année parlementaire écoulée, et identifier les fils rouges qui l'ont jalonnée. À ce sujet, les Commissions d'enquête ont marqué un retour fracassant en 2015.
Assez symboliquement, cette année a débuté avec l'instauration, le 5 février passé, d'une Commission spéciale chargée d'enquêter sur les pratiques de dumping fiscal au sein de l'UE (dont le mandat vient d'être renouvelé pour six mois). Et elle s'est clôturée, le 17 décembre dernier, avec la mise en place d'une Commission d'enquête mandatée pour faire la lumière sur la fraude aux émissions toxiques des voitures.
Le retour en force de cet instrument parlementaire ouvre un certain nombre de pistes de réflexions intéressantes.
Tout d'abord, la création récente de ces Commissions parlementaires est en quelque sorte révélatrice de l'immobilisme du politique en matière de régulation des activités des entreprises multinationales. Les scandales fiscaux et environnementaux qui en sont à l'origine ont démontré combien les autorités publiques nationales et européennes ont failli à leur tâche de faire appliquer la loi. L'affaire "LuxLeaks" a ainsi rappelé que les États membres ont fait preuve jusqu'à présent d'une absence totale de volonté d'échanger entre eux des informations sur les arrangements fiscaux qu'ils concèdent aux entreprises multinationales et ce, en dépit des obligations légales qui leur incombent depuis 1977. Elle a également mis en lumière le fait que la Commission européenne s'était longtemps montrée fort peu encline à évaluer les différents systèmes fiscaux applicables dans les États membres de l’UE, notamment afin de vérifier si ces systèmes représentaient une aide d’État illégale.
Quant au scandale "Volkswagen", il a confirmé également jusqu'à quel point aucune action n'avait été entreprise par les États-membres et la Commission afin de mettre un terme aux violations systématiques des normes européennes d'émissions. Et ce, alors que le Centre Commun de Recherche de la Commission européenne ainsi que plusieurs études indépendantes ont démontré au cours des dernières années que le niveau d'émissions mesuré sur les véhicules diesel (grâce aux "Systèmes Portables de Mesure des Émissions" (PEMS)) excédait les limites prévues par les normes européennes, à hauteur de 5 à 7 fois le plafond autorisé.
Mais, derrière cette impuissance affichée par le politique, se cache surtout un biais idéologique: si les autorités nationales et européennes semblent éprouver tout le mal du monde à combattre efficacement les fraudes fiscales et environnementales, elles n'hésitent par contre pas à faire de l'excès de zèle lorsqu'il s'agit de lutter contre les déficits et l'endettement publics. Un principe de deux poids deux mesures auquel les Commissions parlementaires mises en place en 2015 (et dont les travaux se poursuivront en 2016) entendent précisément s'attaquer.
Le fait qu'une majorité d'eurodéputés apportent leur soutien à l'utilisation d'un tel instrument est extrêmement positif et ne peut que contribuer - certes modestement - à ré-enchanter la chose politique. Et ce, pour au moins deux raisons principales. Tout d'abord, parce que ces Commissions d'enquête remettent l'action parlementaire à l'avant de la scène politique européenne, dans des domaines que celle-ci a généralement l'habitude de déserter, faute de compétence (en particulier en matière de fiscalité). Deuxièmement, parce que les débats parlementaires qui ont précédé leur création ont été à chaque fois une magnifique opportunité pour briser le bloc de la pensée unique incarnée par la "grande coalition" - qui regroupe le PPE (conservateurs), S&D (sociaux-démocrates) et l'ALDE (libéraux). Les fissures provoquées par ces débats en son sein pourraient d'ailleurs laisser augurer l'émergence de nouveaux rapports de force au sein de l'Union et, qui sait, d'un nouvel axe progressiste fort et libéré du référentiel du "tout au marché".