L'influence de l'industrie des pesticides sur le traité transatlantique
L’Agriculture est l’un des sujets les plus contentieux dans l’éventuel partenariat transatlantique (TTIP ou TAFTA) en cours de négociation. Le pan agricole est d’ailleurs très souvent le dernier chapitre à être négocié dans les accords de libre-échange.
Une des spécifités du TTIP, par rapport à d'autres traités commerciaux, est sa nature "règlementaire". Il ne vise en effet pas seulement l'élimination de tarifs douaniers mais aussi l'harmonisation des lois en vigueur dans les domaines couverts par l'accord. Etant données les grandes divergences en matière de législation agro-environnementale et de protection des consommateurs, cette volonté de convergence règlementaire est particulièrement problématique pour le côté de l'Atlantique où les niveaux d'exigence sont plus élevés (l'histoire montre que l'harmonisation se fait toujours vers le niveau le plus bas).
Les lobbies de l’industrie des pesticides (Bayer, Dupont, BASF, Syngenta) voient les négociations sur le TTIP comme une opportunité de faire baisser le niveau d’exigence de la régulation européenne qui détermine les taux de résidus de pesticides autorisés dans l’alimentation. Ce cas est une illustration parfaite des conséquences négatives de la « convergence règlementaire » souhaitée par les négociateurs du TTIP.
De manière générale, les taux de résidus de pesticides autorisés par l’UE sont moins élevés que ceux autorisés dans le Codex Alimentarius[1] ou dans la législation américaine. Les divergences sont parfois très importantes, comme le montre un rapport récent du Center for International Environmental Law (CIEL, 2015). De nombreux pesticides (82, plus précisément, voir liste en Annexte) sont tout simplement interdits au sein du l’UE alors qu’ils sont autorisés aux États-Unis.
Pour d’autres, comme le Malathion utilisé par les producteurs de pomme, le taux autorisé aux États-Unis est 400 x supérieur à celui autorisé en Europe (US : 8 mg/kg contre UE : 0,02 mg/kg). Ces taux sont établis sur base des données scientifiques disponibles sur chacune de ces substances ; dans le cas de substances pour lesquelles les données ne seraient pas suffisantes, l’UE suit le principe de précaution en imposant le taux minimum autorisé, c’est-à-dire 0,01 mg/kg. Dans l’alimentation infantile (produits pour bébé), c’est aussi le principe de précaution qui prime au niveau européen : aucun résidu de pesticides ne peut dépasser le taux minimal, ce qui revient à favoriser les aliments issus de l’agriculture biologique qui sont souvent les seuls à respecter ce critère. C’est plutôt l’approche inverse qui est adoptée aux Etats-Unis : les substances ont tendance à être considérées comme inoffensives jusqu’à ce qu’on puisse prouver un réel impact nocif sur la santé ou l’environnement.
L’un des sujets les plus préoccupants en matière de pesticides est l’impact de notre exposition aux perturbateurs endocriniens présents dans certains pesticides. Seule une exposition à de très faibles doses, et à des moments clés du développement humain, peut suffire pour provoquer des effets néfastes à long terme, tels que des problèmes de fertilité. Ici, ce n’est pas tant le niveau du taux qui est déterminant, mais la présence même de ces substances dans notre alimentation.
Dans ce domaine, la Commission européenne travaillait sur une liste de critères contraignants qui auraient permis d’interdire l’utilisation de 31 nouveaux pesticides (sur base de la présence de perturbateurs endocriniens). Néanmoins, selon le Pesticides Action Network (PAN), cette liste de critères aurait été abandonnée par la Commission européenne sous la pression des lobbies américains. Dans un article du Guardian, on peut lire que cet abandon est survenu juste après une journée de rencontres entre des représentants de la mission des États-Unis auprès de l’UE et d’AmCham EU, et des représentants de la Commission européenne sur le thème des perturbateurs endocriniens[2]. Un exemple qui met clairement en lumière l’énorme influence de certains pans de l’industrie agro-alimentaire non seulement sur le contenu du TTIP, mais aussi sur les règlementations en vigueur aujourd’hui et demain de part et d’autre de l’Atlantique.
Le rapport du CIEL fait état de cinq conséquences concrètes de la campagne menée par le lobby des pesticides pour influencer à son avantage les normes alimentaires couvertes par le TTIP (et en particulier celles qui établissent les taux de résidus de pesticides autorisés) :
- Une législation européenne affaiblie et la réintroduction de certaines substances cancérigènes ou toxiques
- L’importation de produits américains qui présentent des taux de résidus de pesticides plus élevés
- Des efforts contrecarrés en matière de législation sur les perturbateurs endocriniens
- L’action pour sauver les populations d’abeilles torpillée
- L’accès aux informations pour le développement d’alternatives bloqué
- La définition d’un plafond au niveau international qui affectera (à la baisse) les législations européennes et américaines en matière de pesticides
[1] Le Codex Alimentarius est le répertoire de normes alimentaires internationales utilisé par la FAO et l’OMS et qui joue un rôle de référence important dans les accords de libre-échange http://www.codexalimentarius.org/about-codex/fr/
[2] Plus précisément, la proposition de la Commission européenne attendue pour 2014 a été repoussée à 2016.