COP21. Terrorisme et sécurité ont occupé 2015 : n'ignorons pas les défis climatiques
Les atrocités commises dans les rues de Paris le 13 novembre dernier nous ont toutes et tous touchés au plus profond de notre être et de notre citoyenneté, dans ce qui fait de chacun d'entre nous des êtres libres, qui veulent pouvoir se rencontrer, discuter et boire un verre à la terrasse d'un café, aller voir un concert ou un match de football sans mettre sa vie en danger.
Depuis quelques jours, c'est à son tour Bruxelles qui est visée, menacée par des attaques terroristes imminentes et similaires à celles de Paris. La capitale de l'Europe, en alerte maximum, est encore à ce jour partiellement paralysée.
Sans parler de tous les autres endroits de la planète vivant sous le joug permanent de la menace terroriste et des attentats aveugles les plus sanglants, rien que ces derniers jours Beyrouth, Bamako, Tunis, etc.
L'année du climat est devenue celle du terrorisme
Et c'est ainsi que le sentiment d'insécurité remplit désormais totalement l'agenda politique et médiatique européen et international. Alors que 2015 devait enfin être l'année du climat, elle est devenue celle du terrorisme.
En France, le président François Hollande l'a parfaitement intégré, déclarant entre autre trois jours après les attentats devant le Parlement réuni en congrès à Versailles :
"Dans ces circonstances, je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité."
Jolie formule pour justifier que la France ne respecterait une fois encore pas les règles du pacte de croissance et de stabilité européen dont l'objectif consiste à réduire les déficits budgétaires et les dettes publiques, indépendamment des conditions économiques prévalentes.
La France, qui fait partie des mauvais élèves européens en matière de discipline budgétaire, et qui a bénéficié deux fois de délais de grâce mal perçus par d'autres États membres de l'UE (comme l'Espagne, le Portugal ou bien entendu la Grèce).
En finir avec le dogme budgétaire européen
L'extrême gravité des attentats de Paris a néanmoins provoqué un choc dans l'ensemble des capitales européennes et ainsi redistribué les cartes.
Dans ce terrible contexte, cette remise en cause du dogme budgétaire européen, qui a fait tant de mal aux budgets sociaux de certains États membres, constitue au moins une "bonne" nouvelle.
Il est toutefois vraiment dommage de constater que seules les questions de sécurité sont susceptibles de remettre en cause le pacte de stabilité et l'idéologie ordolibérale qui prévalent au sein des élites politiques et économiques nationales et européennes. Quand la politique reprend enfin ses droits sur l'économie, c'est malheureusement uniquement pour imposer de nouvelles règles sécuritaires.
Pourtant, au pacte de sécurité devrait être accolé un pacte de solidarité. Solidarité envers les plus démunis au sein des États membres de l'UE, solidarité au-delà des frontières européennes avec les populations du sud et leurs flots de réfugiés, et solidarité vis-à-vis des plus jeunes et des générations futures, qui seront davantage impactés par le dérèglement climatique alors que nullement responsables.
Faire du climat et de la cohésion sociale des priorités
Ignorer le défi climatique produira des coûts colossaux à maints égards.
Une étude réalisée pour la Fondation verte européenne a montré par exemple que la lutte contre le changement climatique pourrait coûter jusqu'à 1.000 milliards d'euros aux institutions financières européennes en raison de leur engagement dans les énergies fossiles.
Ne pas faire de la cohésion sociale une priorité pose également un défi énorme à l'ensemble de l'Union européenne. Alors que les États membres ont convenu en 2010 de réduire de 20 millions le nombre de personnes en risque de pauvreté ou d'exclusion sociale d'ici à la fin de la décennie, on dénombre depuis cet engagement quatre millions de précaires en plus en Europe, sans que cela ne semble émouvoir les décideurs européens.
Enfin, ne pas prendre à bras le corps le mal développement dans un certain nombre de pays du sud et même s'en moquer ouvertement en refusant d'honorer l'engagement pris à leur égard d'affecter 0,7% du PIB de chacun de nos pays riches à l'aide publique au développement, c'est refuser de se donner les moyens de répondre concrètement au défi des flux de réfugiés fuyant la guerre et la misère, dont se plaignent pourtant avec un cynisme sans nom la majorité des États membres de l'UE.
Répondre avec nos valeurs à la barbarie
Sans oublier de mettre sur la table l'immense responsabilité de nombre d'États occidentaux dans la catastrophe actuelle, qui depuis maintenant des décennies mènent la "guerre contre le terrorisme", vendent des armes aux pires régimes de la planète et pensent en même temps pouvoir vivre à l'écart des désordres du monde qu'ils ont eux-mêmes contribué à provoquer.
Il faut bien avoir à l'esprit, par exemple, que le régime saoudien, régime avec lequel il y a peu l'actuel Premier ministre français se vantait d'avoir d'excellentes relations, n'est jamais qu'"un Daesh qui a réussi", pour reprendre l'expression de l'écrivain algérien Kamal Daoud.
Dans un monde interconnecté, croire que seule la guerre, les instruments juridiques répressifs attentatoires aux libertés fondamentales et les discours martiaux sont susceptibles de nous protéger des actes les plus barbares est en soi un terrible aveu d'échec.
Alors plutôt que de se contenter une fois encore de gesticulations court-termistes, soignons le mal à la racine, et prenons enfin conscience que face à Daesh aujourd'hui, Al Qaeda hier et qui sait demain, c'est surtout d'un pacte de solidarité dont l'Europe a besoin, pour répondre avec nos valeurs à la barbarie. Et la conférence climat, la fameuse COP 21, qui s'ouvre à Paris, est l'occasion historique d'opérer enfin cette nécessaire révolution mentale.
Nous sommes en état d'urgence sociale et climatique
Quant aux monomaniaques de l'austérité budgétaire, il faudra leur opposer la possibilité inscrite dans le pacte de stabilité et de croissance que les États puissent temporairement s'écarter des objectifs en matière de réduction de la dette et du déficit, pour autant que cela soit justifié et que la Commission qui évalue les budgets reconnaisse ces éléments pertinents.
Considérant les enjeux de court, moyen et long termes ainsi que les répercussions locales, nationales et globales de ce pacte, nous espérons que les décideurs débloqueront les montants et mettront en place les mesures nécessaires à la réalisation du pacte de solidarité que nous proposons ici.
Parce qu'après les attentats, l'état d'urgence est une chose, mais il faut bien prendre conscience que nous ne sommes pas moins en état d'urgence sociale et climatique.
Philippe Lamberts, co-président du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen
Tribune publiée le vendredi 27 novembre 2015: http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1454025-le-pacte-de-securite-prime-sur-le-pacte-de-stabilite-parlons-plutot-cop-21-et-solidarite.html