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Attentats de Paris

16/11/2015
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Bruxelles, le 16 novembre 2015

Comme vous tou(te)s, j’ai été profondément choqué en apprenant vendredi soir, en marge du conseil du Parti Vert Européen à Lyon, la nouvelle des attaques terroristes de Paris et de Saint Denis. Spontanément, j’ai ressenti une solidarité de coeur avec les victimes et avec leurs proches. Pour le coup, le terme de terrorisme n’est pas usurpé : il s’agit bien pour l’Organisation de l'Etat Islamique de semer la terreur parmi nous, en frappant nos sociétés en trois endroits où elles se rassemblent : au restaurant, au spectacle, au match. Pareilles attaques, qui ciblent délibérément des citoyen(ne)s comme vous et moi, sont des crimes abjects.

Au-delà de de la tristesse, de l’indignation et de la colère, comment réagir ? Comment en particulier faire en sorte que nos sociétés soient capables de mieux se protéger contre de pareils actes ?

D’emblée, reconnaissons que si nous voulons vivre dans des sociétés libres et ouvertes, il est impossible d’empêcher à 100% des personnes décidées de donner leur vie pour commettre les pires attentats d’arriver à leurs fins. Les exemples de la Chine et de la Russie – deux régimes autoritaires et policiers, où la surveillance est généralisée, le démontrent : ni l’une ni l’autre n’ont été capables d’empêcher tout acte terroriste sur leur territoire. Dans cette perspective, les mots comme éradication ou extermination que j’ai entendus ces derniers jours me semblent dangereux et à éviter.

Ceci ne signifie pas pour autant que rien ne puisse être fait pour réduire le risque.

La plupart des actes terroristes commis ces dernières années l’ont été par des personnes déjà identifiées comme présentant un danger potentiel pour nos sociétés. A première vue, cela semble indiquer que la collecte du renseignement donne des résultats. La question qu’on peut se poser est par contre celle de l’exploitation du renseignement. D’une part, le partage des informations entre les services de police à la fois à l’intérieur des Etats-Membres et entre eux demeure aujourd’hui insuffisant. Par ailleurs, il semble assez clair que la mise sous surveillance ciblée (dûment mandatée par la justice) de ces personnes n’a pas été suffisante et que des ressources adéquates doivent y être consacrées. Face à cela, on comprend bien que la réponse quasi-instinctive de nombre de politiques visant à mettre l’ensemble de nos sociétés sous surveillance est à la fois inadéquate et démocratiquement inacceptable. Inadéquate parce que ce n’est pas le renseignement qui manque mais bien son exploitation ; inacceptable car un des principes de base de la démocratie est que toute restriction de liberté doit être proportionnée à l’objectif et que rien ne peut justifier qu’on transforme tout(e) citoyen(ne) en suspect(e).

On peut aussi évoquer la question du commerce illégal d’armes : comment est-il possible qu’il soit aussi facile à des candidats-terroristes de se procurer et de se balader avec des armes de guerre? Que dire alors de la libre utilisation d’internet pour véhiculer des discours d’incitation explicite à la haine ethnique et à la violence? Ou encore du contrôle des flux financiers qui alimentent les filières terroristes? Sur ces trois plans, il y a du pain sur la planche et de la place pour une approche plus répressive de la part de nos Etats-Membres.

Par ailleurs, de l’Irak à l’Afghanistan en passant par l’Afrique sub-saharienne, la Libye et la Syrie, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’efficacité des multiples interventions d’Etats-Membres de l’Union Européenne hors de nos frontières, en particulier sous la forme de frappes aériennes. Si l’on mesure le succès à l’instauration de processus politiques devant progressivement installer la démocratie et l’état de droit en ces multiples endroits, c’est une litote que de dire qu’il n’est en général pas vraiment au rendez-vous. Loin de moi l’idée qu’aucune cause ne justifie le recours à la violence légitime ; à titre d’exemple, je suis pour ma part convaincu qu’une intervention précoce en ex-Yougoslavie était justifiée pour éviter que la situation n’y dégénère comme on l’a vu. Mais une intervention militaire se doit non seulement de jouir d’une légitimation juridique, mais s’inscrire dans une stratégie à la fois militaire et politique qui permette crédiblement d’arriver au succès. Rares sont les cas où une telle stratégie ait été élaborée préalablement aux interventions récentes et je ne suis pas sûr que la réaction instinctive consistant à intensifier les bombardements doive mener à des résultats plus probants. Au contraire, on peut se demander si elle ne contribue pas in fine à accroître le flux des candidats-terroristes.

Géopolitiquement parlant, je m’interroge aussi sur les alliances explicites ou implicites à la fois stratégiques et économiques de nos Etats-Membres avec des régimes tels que celui de la monarchie saoudite en Arabie, avec les émirats pétroliers et gaziers du Golfe Persique, ou encore avec celui du maréchal Al Sissi en Egypte, ainsi que sur les ventes d’armes massives qui les accompagnent. Je rappelle que les groupes islamistes qui opèrent actuellement en Afrique se sont largement servis en armes dans les stocks du régime Kadhafi, que nos pays ont fourni pendant des décennies. En particulier, l'Arabie Saoudite est le premier vivier du salafisme wahhabite et à ce titre porte une responsabilité cruciale dans l'enracinement de cette forme de l'islam mortifère.

Enfin, il est clair que les discours de haine des groupes terroristes se réclamant de l’Islam ne prendront pas fin comme par enchantement demain matin. Par contre, la question que nous devons nous poser est celle de ce que nous pouvons faire pour que ces discours ne trouvent pas au sein même de nos sociétés une terre fertile. N'oublions pas en effet que l'écrasante majorité des auteurs d'actes terroristes en Europe cette dernière décennie sont des citoyens de nos pays, qui sont nés et ont grandi ici avant de se radicaliser. De ce point de vue, nous devons bien admettre que nos sociétés sont, au fil des dernières décennies, devenues de moins en moins inclusives et que de plus en plus, l’appartenance ethnique ou religieuse est un facteur de rejet et d’exclusion. Remettre la justice sociale et l’égalité au cœur de nos politiques publiques doit être un choix politique résolu ; à cet égard, les politiques fiscales et d’emploi mais aussi d’éducation et de formation ont un rôle essentiel à jouer. Un tel changement de cap ne donnera pas des résultats immédiats mais il est indispensable si nous voulons que chacune et chacun puisse se sentir chez elle et chez lui au sein de nos sociétés.

Les émotions individuelles et collectives vécues par nous tous ces jours derniers sont puissantes et peuvent à certains moment nous submerger. Je pense cependant que la responsabilité des politiques - et des médias - est d'aider nos sociétés à mieux comprendre les ressorts des événements que nous vivons et les pédagogues des solutions de fond à y apporter, dont il est évident que de nombreux éléments exigent une approche européenne plutôt que nationale. C'est ce que nous, élus écologistes, nous attacherons à faire dans les jours et semaines qui viennent, avec détermination. Nous n'ignorons pas que la tentation est grande chez certains d'instrumentaliser l'émotion générale à leur profit et à celui de l'idéologie qu'ils portent. Si, portées par cette émotion, nos sociétés devaient se recroqueviller sur elles-mêmes et se crisper dans un repli sécuritaire, les terroristes auraient gagné.

La France qui a été attaquée en son cœur vendredi dernier a mis au cœur de ses valeurs républicaines la liberté, l’égalité et la fraternité. C’est en tenant cette promesse envers tou(te)s nos concitoyen(ne)s et au-delà, envers tous les habitants de notre planète que nous pourrons vivre en sécurité dans des sociétés libres, ouvertes et démocratiques.

Mise à jour: retrouvez ci-dessous mon intervention lors de la séance plénière du 25 novembre:

Image à la une: Nigel Lo sur Unsplash.com https://unsplash.com/photos/PpDoE1f00KY

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