Bruxelles, 24 septembre 2015
La révélation que Volkswagen a massivement triché sur les émissions de NOx de ses voitures est un tremblement de terre politico-économique à plusieurs égards.
Il prouve le mépris profond des grands de l'industrie automobile, de leurs dirigeants et de leurs actionnaires pour le bien public. Bien sûr, on sait qu'ils se battent depuis toujours contre des normes environnementales strictes. Après des décennies où ils avaient pu gagner le droit à "s'autoréguler", ils avaient à ce point peu tenu leurs engagements qu'ils ne purent finalement échapper à des normes contraignantes (Euro 4, 5, 6 etc). Mais non contents de se battre contre ces normes, ils firent en sorte que les tests et mesures soient aussi laxistes que possible, quand ils ne les manipulaient pas sans vergogne. Et j'ai du mal à croire qu'il ne s'agit que d'un constructeur - VW - dans un seul pays - les USA. Les moteurs diesel vendus aux US ne sont guère différents de ceux vendus en Europe, et les différences technologiques entre constructeurs majeurs ne sont pas à ce point significatives que les émissions diffèrent en substance.
Je fais le pari que les développements des enquêtes - si elles sont menées sérieusement - mettront en lumière la complicité plus ou moins explicite des décideurs politiques avec les grands constructeurs. Sur ce plan, ces derniers occupent dans l'imaginaire des politiques un poids au moins aussi grand que les banques systémiques dont je vous ai si souvent entretenus. On se souvient bien que les gouvernements américains ont mis autant d'énergie à sauver la mise à leurs grandes banques - à part Lehman - qu'à General Motors ou Chrysler, le refrain étant que ce qui est bon pour GM est bon pour les Etats-Unis. Je me souviens aussi qu'en 2012, alors même que Parlement et Conseil s'étaient mis d'accord sur les nouvelles normes d'émission et que le texte législatif était prêt à être adopté et publié, c'est la chancelière Merkel en personne qui se mit en travers. A quelques mois des élections fédérales, elle voulut éviter de contrarier son industrie automobile (patrons comme syndicats du reste) et tordit le bras à quelques collègues chefs de gouvernement de pays hébergeant des lignes d'assemblage de firmes allemandes pour forger une minorité de blocage de dernière minute. Après les élections allemandes, les normes agréées furent une fois encore allégées.
Enfin, le fait que le scandale touche Volkswagen, emblème de l'Allemagne innovante, performante, industrieuse a une portée symbolique forte. A l'heure d'une assertivité allemande retrouvée, qui voit bon nombre de politiques et d'industriels allemands faire la leçon au reste de l'Europe, au point qu'on a parfois l'impression que Berlin est devenue la capitale de l'Union, on peut constater que l'Allemagne - pays admirable à bien des égards - n'est pas exempte de dérives graves. Il est aussi piquant que Martin Winterkorn, patron démissionnaire de Volkswagen, est le patron le mieux payé d'Allemagne. Il part avec 28,5 millions d'euros de pension plus une indemnité de rupture de 3 millions d'euros. Tout cela pour un patron qui soit savait - ce qui est un scandale - soit ne savait pas, ce qui est une preuve d'incompétence.
La crise financière a montré qu'il fallait savoir profiter de ces moments de crise pour prendre des mesures longtemps bloquées; espérons que le scandale VW (et autres à suivre) donne l'impulsion pour mettre en place des normes d'émission plus ambitieuses mais aussi et surtout des dispositifs de test et d'homologation beaucoup plus sérieux. Ce qui est en jeu ici est la volonté ou non de nos démocraties d'imposer leur loi, c'est-à-dire celle de la défense de l'intérêt général et donc ici la santé publique, aux puissances d'argent. Si on avait eu le courage de mettre sur la table législative la séparation des banques d'affaires et de détail dès 2010, la mesure serait passée; aujourd'hui, la fenêtre d'opportunité est passée. Le lobby automobile est en position de faiblesse : c'est maintenant qu'il faut exploiter la brèche.
Retrouvez par ici le communiqué de presse du Groupe des Verts/ALE sur ce sujet.