Bruxelles, le 15 septembre 2015
Le Soir et Mediapart publiaient hier une carte blanche que j'ai co-signée avec mes collègues eurodéputés écologistes Bart Staes, Eva Joly, Karima Delli, Ernest Urtasun et Judith Sargentini.
Je me permets de la reproduire ci-dessous.
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« L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. »
En se rappelant l'article 2 du Traité de Lisbonne, texte fondateur de l'Union européenne, on est en droit de s'attendre à ce que les responsables politiques issus de tous les partis démocratiques, et au-delà des clivages partisans, se montrent à la hauteur d'une situation inédite depuis la deuxième guerre mondiale. Pourtant, alors que le Liban (4 millions d'habitants) accueille actuellement plus d'1 million de réfugiés, les dirigeants européens se chamaillaient en mai dernier sur l'accueil de 40.000 personnes dans une Union européenne qui en compte 500 millions. 40.000 personnes, c'est moins que la capacité du Stade Roi Baudouin…
Qu'il est loin l'esprit de la convention de Genève ! Aujourd'hui, face à des milliers d'êtres humains qui fuient la guerre et la barbarie, des responsables politiques agitent le spectre de l'invasion, attisent la crainte, et construisent des murs réels ou virtuels aux frontières de l'Europe. Tétanisés par leur extrême-droite et une opinion publique formatée par des années de discours faisant de l’immigration « un problème », certains leaders tournent le dos à leur devoir moral, celui de sauver des vies. Ils refusent également d’assumer les conséquences de leurs politiques étrangères et, pour certains, de leur statut de pays producteur d'armes. Et, dans un horrible choix politicien, ils laissent la Méditerranée, creuset de civilisations, se transformer en gigantesque cimetière où sombrent par milliers celles et ceux qui croyaient rejoindre une terre de paix. Et avec eux, c'est l'idéal européen tout entier qui sombre, avec ses valeurs d'humanisme et de solidarité.
L'Europe qui écrase les faibles et laisse mourir ceux qui cherchent sa protection, ce n'est pas la nôtre, elle nous fait honte. Nous rejetons l'Europe forteresse. Nous voulons l'Europe de l'accueil et de la justice, l'Europe digne du prix Nobel qui distinguait en 2012 son action pour faire avancer la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l'homme, l'Europe digne des formidables élans citoyens qui compensent l'inaction politique. Il est impératif de changer du tout au tout le point de vue actuel sur l'asile. Organisons des couloirs humanitaires depuis les pays en guerre, pour aider les habitants à trouver refuge chez nous sans qu'ils doivent pour cela mettre leur vie en péril. Créons dès maintenant des voies d’accès légales au sol européen. Ceci permettrait de facto de couper l'herbe sous le pied des passeurs, pour qui l'acheminement des réfugiés est une juteuse activité rendue florissante par nos barricades. Il faut sortir du chacun pour soi : la solution ne peut être qu'européenne ! Revoyons d'urgence ce système inique de Dublin qui fait reposer l’essentiel de l’accueil sur les pays frontaliers tels l'Italie, Malte ou la Grèce tandis que d'autres fuient leur responsabilité. Mettons en place un véritable droit d'asile européen avec une procédure et des critères harmonisés, des conditions d'accueil communes et un statut unique, une libre circulation à l'intérieur de l'Union, et une participation équitable de tous les pays membres à l'accueil des réfugiés. Surtout et avant tout, sortons de la logique comptable appliquée actuellement qui déshumanise les réfugiés à coups de "quotas" ou de "centres de tri", où le nombre de réfugiés par pays est calculé à l’unité près. Chacun de ces êtres humains a une histoire personnelle unique et dramatique qui les a menés à tout quitter pour sauver leur vie. Leurs liens, leurs préférences en termes de lieu d'accueil, doivent entrer en ligne de compte.
Enfin, nous affirmons qu'il faut aller encore plus loin. Pour explorer jusqu'au bout les alternatives à l'Europe forteresse, nous devons oser parler de l'ouverture des frontières. Les sphères académique et associative se sont saisies de la question depuis déjà plusieurs années, et les études montrent qu'ouvrir les frontières est une solution non seulement juste, mais rationnelle, qui ne créerait pas l'appel d'air fantasmé. Nous, élus écologistes, défendons un monde où le bien-être ne dépend pas de l'endroit où l'on est né, ou de la richesse de sa famille. Nous sommes engagés en politique pour défendre et protéger la dignité humaine de chacune et de chacun.
Nous voulons inscrire le débat de l'ouverture des frontières à l'agenda politique. Pour que plus jamais un petit Aylan ne s'échoue à nos portes, finissons-en une fois pour toutes avec l'Europe des forteresses.
Karima Delli (France)
Eva Joly (France)
Philippe Lamberts (Belgique)
Bart Staes (Belgique)
Judith Sargentini (Pays-Bas)
Ernest Urtasun (Espagne)
Crédit image à la une: Unsplash. com