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Quand la lutte contre l’évasion fiscale se heurte aux Cours arbitrales internationales du Traité transatlantique

25/03/2015
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Tribune publiée dans Le Monde, 18 mars 2015

OffshoreLeaks, LuxLeaks ou SwissLeaks, autant de scandales qui ont contraint la Commission européenne à réagir après des décennies de passivité. La Commissaire Vestager, a donné le ton en ouvrant des enquêtes sur une série de multinationales ayant bénéficié de « rescrits fiscaux » (taxe rulings) qui pourraient être assimilés à des aides d’État illégales en vertu du droit européen de la concurrence imposant l’égalité de traitement des entreprises. Cependant, les propositions législatives pour réguler, notamment, le phénomène de dumping fiscal doivent émaner des services en charge des politiques économiques et de la fiscalité. La balle est donc dans le camp de P. Moscovici qui proposera le 18 mars des mesures sur la transparence fiscale et un second paquet avant l’été. Quant à la commission spéciale du Parlement européen sur l'évasion fiscale obtenue au forceps, nous osons espérer qu’elle aboutira à des propositions concrètes.

1.000 milliards d’euros échappent chaque année à nos inspections fiscales quand les déficits publics de l’UE équivalent à 420 milliards d’euros. Et, il est évident que les retombées de la crise sur les budgets des Etats et les conditions de vie des Européens ont rendu l’injustice fiscale toujours plus intolérable.

Si à première vue, les dirigeants européens semblent enfin disposés à considérer ce problème, une contradiction demeure quant aux objectifs poursuivis, notamment par la Commission. Dans le cas d’espèce, entre les services en charge de la lutte contre l’évasion fiscale et ceux négociant l'accord de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement entre l’UE et les États -Unis (TTIP). Cet accord ne prévoit aucune clause de coopération fiscale entre les deux continents. De plus, le mécanisme retenu pour le règlement des différends entre les investisseurs et les États (clause ISDS) a toutes les chances de réduire à néant les efforts difficilement consentis par les États européens pour lutter contre l'optimisation et le dumping fiscaux.

Considérons en effet qu’aux termes de son enquête, la Commission juge illégal le dispositif fiscal préférentiel dont bénéficient notamment Starbucks aux Pays-Bas ou Apple en Irlande. En vertu du droit européen, ces entreprises seraient contraintes de dédommager les pays « lésés » par la perte de recettes fiscales. Si cependant, cette décision intervient dans un contexte où l’accord translatique comprenant l’ISDS aurait été conclu, rien ne garantit que ces groupes américains ne décident de saisir une Cour arbitrale internationale afin de réclamer la restitution des sommes pour atteinte à leurs intérêts et « attentes légitimes ». En d’autres termes, ce type de juridiction rendrait le droit européen ineffectif.

Le plaidoyer inconditionnel de la Commission en faveur des ces mécanismes d’arbitrage, dont l'impartialité reste contestable, est d’autant plus problématique que les instruments de la dette souveraine ne sont pas explicitement exclus du TTIP. En assimilant les dettes d’État à des "investissements" dont les créanciers sont propriétaires, toute négociation de restructuration de dette entre les pays débiteurs et leurs créditeurs devient extrêmement compliquée.

C’est en tout cas l’avis de plus de cent académiques consultés sur l’ISDS par la Commission européenne. C’est ce que montre également le litige entre l’Argentine et les « fonds vautours ». Ces fonds d’investissement spéculatifs détenteurs de titres de dette souveraine ont refusé la renégociation de la dette argentine pour réclamer devant une juridiction internationale le remboursement des titres de créances en se basant non pas sur leur prix d’acquisition mais sur leur valeur nominale. Une escroquerie programmée légitimée par les Cours arbitrales en vertu du droit international. Le litige entre la Grèce et la « Postová Banka » est de nature similaire. S’estimant lésée par la restructuration de la dette grecque de 2012, cette banque slovaque qui avait acquis des titres de dette souveraine à des prix bradés sur le marché secondaire a pu saisir une Cour arbitrale prévue dans le traité bilatéral d’investissement conclu avec la Grèce en 1992.

Au demeurant, aucune étude sérieuse, à l’instar de celle réalisée par l’OCDE , ne démontre que l’intégration d’une clause ISDS dans un accord international stimule les investissements. Ce mécanisme est devenu un instrument de protection privilégiée des entreprises internationales au détriment, par ailleurs, de celles du pays hôte. Initialement prévu pour protéger les investisseurs des incertitudes liées à des systèmes juridiques et judiciaires déficients du pays d'accueil, ce type de juridiction privée est donc tout simplement inapproprié à un partenariat commercial entre deux continents fondés sur l’Etat de droit et la démocratie.

Le mécanisme d’arbitrage prévu dans dans le TTIP ( intégré dans l’accord CETA entre l’UE et le Canada) correspond par conséquent à une subversion de la hiérarchie des normes en vertu de laquelle les intérêts privés (le « droit de l’investisseur et la propriété privée») l'emporteraient sur l'intérêt général (lutte contre l'évasion fiscale et le dumping fiscal) et in fine, sur la consolidation du projet européen.

Par Philippe Lamberts, Président du groupe des Verts/ALE, spécialiste des questions économiques et monétaire

Pascal Durant, membre des Commissions affaires juridiques et constitutionnelles

Eva Joly, Vice-Présidente de la Commission spéciale TAXE

Yannick Jadot, Vice-Président de la Commission commerce international, Porte-parole Verts-ALE sur le TTIP

Image à la Une: (c)reporters, utilisée sur http://www.ecolo.be/?ttip

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