Bruxelles, 20 mars 2015
Au cours des deux dernières semaines, vous avez été plusieurs centaines (près de 500 pour être précis) à m'écrire sur le sujet de la séparation des métiers bancaires, et plus précisément sur le dossier législatif sur la table du Parlement européen, appelé "réformes structurelles bancaires". Je me réjouis de cette mobilisation citoyenne naissante qui m'est d'autant plus nécessaire que les forces politiques dominantes au sein du Parlement européen sont déterminées à enterrer ce texte. A nous à présent de redoubler de détermination!
Retrouvez ci-dessous le courrier citoyen reçu par centaines, et la réponse que j'y ai apporté:
"Monsieur,
Ce 23 mars, vous vous apprêtez à voter en commission ECON le sort de la proposition sur la réforme structurelle du secteur bancaire européen déposée par l'ancien commissaire Barnier. Nous savons que les avis sont divergents et que de nombreux amendements ont été déposés.
Pourtant, en février 2012, la Commission européenne a créé un groupe d'experts de haut niveau chargé d'étudier les réformes structurelles du secteur bancaire européen. En accord avec le président Barroso, le Commissaire Barnier a nommé Erkki Liikanen, gouverneur de la Banque de Finlande et ancien membre de la Commission européenne, président de ce groupe. Le groupe avait pour mandat de déterminer si des réformes structurelles des banques de l'Union européenne pourraient renforcer la stabilité fi nancière et améliorer l'effi cacité du système et la protection des consommateurs, et, dans l'a lternative, d'élaborer, le cas échéant, des recommandations. En d'autres termes, faut-il à nouveau séparer les métiers bancaires comme on l'avait fait dans les années trente ? Oui, répond le rapport Liikanen, "la négociation pour compte propre et les autres activités de négociation d'une certaine importance devraient être séparées des autres et affectées à une entité juridique distincte, dès lors qu'elles représentent une part signi ficative de l'activité de la banque".
Les banques sont trop grandes et trop interconnectées. Un tel problème a obligé les Etats à sauver les banques suite à la crise de 2008. Ce sauvetage a coûté, au niveau européen, 671 milliards d’euros en capital et en prêts dans leurs banques et 1288 milliards en garantie. Ce montant équivaut à 16 % du PIB de l’Union européenne. Les Etats ont dû s'endetter (la dette belge est passée de 84 % du PIB en 2007 à 99,8 % en 2012) et mettre en place des mesures d'austérité, aujourd'hui souvent remises en cause.
Une loi sur la séparation est entrée en vigueur en Belgique en avril 2014 mais une de ses faiblesses est qu'elle ne s'applique qu'aux banques "belgo-belges". Il est donc indispensable d'avoir une loi européenne qui supplante les législations nationales pour permettre que les mécanismes mis en place dans le cadre de l'union bancaire soient suffisamment efficaces.
Pour cette raison, nous vous demandons de ne pas vous cantonner à une "séparation cosmétique" comme c'est le cas en France ou en Allemagne, mais bien à voter en faveur d'une séparation des activités bancaires qui protège réellement les consommateurs et les contribuables."
Ma réponse:"Bonjour,
Je vous remercie pour votre email. Il est pour moi particulièrement réjouissant et rassurant de constater que des citoyens se mobilisent actuellement en faveur d'une séparation stricte des métiers bancaires. C'est d'autant plus crucial que cette mesure - que peu de députés européens auraient osé contester au lendemain de l'éclatement de la crise bancaire en 2008 - est désormais rejetée par une majorité d'entre eux.
La proposition législative de la Commission européenne prévoit de confier aux autorités compétentes le soin de déterminer, sur base de critères préalablement définis, dans quels cas les activités de trading au sein d'un groupe bancaire devraient être cloisonnées. Bien que cette approche soit modérément ambitieuse, il semble qu'elle aille déjà trop loin pour les députés conservateurs (PPE), libéraux (ALDE) ainsi que pour une partie des socialistes (S&D), qui ont déposé en janvier dernier des amendements visant à enterrer ce texte législatif. Les arguments que ces derniers mettent en avant pour justifier l'injustifiable sont connus: "Cette mesure risque de mettre à mal la compétitivité de nos banques", "En régulant trop, nous risquons de tuer le crédit et donc, de porter préjudice à l'économie réelle", "L'essentiel des activités de marché des banques ne sont pas de nature spéculative, mais vise uniquement à développer des produits financiers adaptés aux besoins des entreprises", etc.
Sans surprise, ces arguments sont exactement les mêmes que ceux du lobby de l'industrie bancaire, qui s'oppose systématiquement à chaque nouvelle proposition législative visant une meilleure régulation financière.
Du côté du Groupe des Verts, nous avons déposé des amendements qui, au contraire, vont plus loin que la proposition initiale de la Commission. Plus précisément, ceux-ci prévoient l'application d'une séparation automatique des activités de trading pour les banques qui entrent dans le champ d'application du règlement[1].
Si de nombreux députés européens ne prennent même plus la peine aujourd'hui de cacher le fait qu'ils promeuvent les intérêts de grandes banques universelles, c'est avant tout parce qu'ils ne craignent plus d'être sanctionnés électoralement pour leur prise de position. La pression médiatique et citoyenne à laquelle ils font actuellement face est en effet bien trop faible pour espérer les forcer à adopter une position plus en phase avec l'intérêt général.
La mobilisation citoyenne naissante en Belgique francophone sur cette question est donc d'une importance cruciale. Je me réjouis d'avoir déjà reçu à ce jour près de 460 emails similaires à celui que vous m'avez envoyé. Mais, pour faire basculer le rapport de force actuel dans le débat sur la séparation des métiers bancaires, il sera essentiel d'étendre cette mobilisation citoyenne à l'ensemble de l'Union européenne. Afin d'y contribuer, j'ai l'intention - avec l'ensemble du Groupe des Verts européens - de lancer dans les prochaines semaines une campagne publique autour de cet enjeu. Nous ne manquerons pas de vous en informer dès que les premières actions seront mises en œuvre.
Parallèlement, en ma qualité de négociateur principal des Verts européens pour le dossier relatif à la réforme structurelle des banques, je puis vous assurer que je mettrai toute ma détermination à forcer un compromis en faveur de l'intérêt général. La bonne nouvelle à ce sujet est que le vote en Commission ECON sur ce dossier n'aura pas lieu - comme initialement prévu - le 23 mars prochain. Il devrait plutôt se tenir en mai prochain. Cela laisse donc encore un bon mois à tous les partisans de la séparation de métiers bancaires pour mettre sous pression les députés et ministres européens des finances qui continuent à bloquer une réformer indispensable pour la stabilité financière et la protection des intérêts des contribuables européens.
Cordialement,
Philippe Lamberts
(1) Dans l'optique défendue par les Verts, à l'exception des activités de gestion prudente du risque, du capital, et de la liquidité, toutes les autres activités de trading devraient être séparées de l'établissement de crédit à titre principal.