Une opinion de Philippe Lamberts, coprésident du groupe des VERTS/ALE au Parlement européen. Pour aller plus loin, visitez le site: www.stop-bank-subsidies.eu/fr/
Publiée par La Libre Belgique, le jeudi 21 août 2014.Le lobbying des grandes banques ne connaît pas de trêve estivale. Au moment où l’attention médiatique fléchit, les campagnes de pression portent leur fruit.
Depuis plusieurs semaines les grandes banques s’activent pour convaincre les Etats membres d’affaiblir le nouveau cadre législatif européen visant à limiter au strict minimum l’exposition des contribuables et des petits épargnants aux futures crises bancaires. Plus précisément, la cible visée concerne le futur fonds de résolution bancaire dont le total devrait s’élever à 55 milliards d’euros pour la zone euro.
L’importance d’un tel fonds est incontestable : lors d’un processus de résolution qui suit l’effondrement d’une banque - ce qui arrive quand ce qu’elle possède a une valeur inférieure à ce qu’elle doit - l’autorité de résolution a souvent besoin de cash pour financer l’opération d’assainissement (par exemple en créant une "bonne" et une "mauvaise" banque et en transférant les actifs et le passif, etc.).
Le futur fonds de résolution permettra précisément de couvrir ces coûts. En outre, l’argent des contribuables ne sera pas mobilisé puisque ce dernier sera entièrement financé par les banques elles-mêmes. Néanmoins, les plus grandes banques de la zone euro exercent actuellement un lobbying intense afin de s’assurer que les banques plus petites et moins risquées payent plus que ce qu’elles ne devraient.
En théorie, ce fonds devrait fonctionner comme une assurance. Les contributions devraient dépendre de la taille de la banque et du risque de pertes potentielles qu’elle représente. Autrement dit : les grandes banques devraient logiquement payer plus que les petites banques (taille d’une perte potentielle) et les banques les plus risquées devraient payer plus que les banques "sans-risque" (risque de perte potentielle). C’est exactement le raisonnement adopté par la FDIC, l’agence américaine de résolution. Celle-ci fait payer les banques les plus risquées 18 fois plus que les banques les moins risquées (par rapport à leur passif hors fonds propre).
Malheureusement en Europe, certains Etats membres comme les Pays-Bas, la France et l’Italie se comportent en défenseurs des intérêts de leurs "champions" bancaires et tentent de limiter les contributions de ces derniers. Ils s’activent pour que les banques les moins risquées payent jusqu’à 80 % de la contribution moyenne au fonds de résolution quand les banques les plus risquées pourraient se limiter à 120 % de celles-ci.
Si cette répartition des efforts devait être entérinée, cela signifie que, en Belgique, une grande banque telle que KBC ne paierait au maximum que 1,5 fois plus qu’une petite banque telle que Bank Van Breda - bien que la probabilité que cette dernière recoure dans le futur au fonds de résolution soit quasi nulle. Avec un écart aussi faible, les banques ordinaires seraient donc inévitablement amenées à subventionner les activités risquées et spéculatives des banques "trop grandes pour faire faillite".
Cela est tout simplement inacceptable. La répartition des contributions au futur fonds de résolution entre les banques à risque et celles qui ne le sont pas, devrait être établie en conséquence, avec le même écart qu’aux Etats-Unis (facteur de 18). Il s’agit là d’une exigence minimale, d’autant que le futur fonds de résolution paraît déjà bien faible pour neutraliser l’avantage concurrentiel dont bénéficient actuellement les grandes banques par rapport à leurs consœurs de petite et moyenne taille.
Les 55 milliards d’euros du fonds de résolution pour la zone euro seront versés dans un délai de huit ans (sans compter d’éventuels appels de fonds supplémentaires). Nous parlons donc d’un volume annuel de 6,9 milliards d’euros. Que les plus grandes banques paient 85 % (voire même 100 %) de ces 6,9 milliards d’euros annuels change peu de chose en comparaison aux 200 milliards d’euros de subventions implicites que ces dernières - selon les calculs du FMI - obtiendraient chaque année. Qu’entend-on par subvention implicite ?
En raison du soutien implicite de leur Etat, les plus grandes banques de la zone euro sont en mesure d’emprunter sur les marchés financiers presque sans restriction, à des taux incroyablement bas et plus attractifs que ceux proposés aux banques de plus petite taille. Bref, en obligeant ces dernières à financer l’essentiel du fonds de résolution, cela permettrait de compenser - certes, de manière très partielle - l’avantage concurrentiel dont elles bénéficient.
Malheureusement la Commission européenne semble actuellement prendre le parti des (grandes) banques contre l’intérêt des citoyens. Le cabinet du commissaire français Michel Barnier est en effet à la recherche d’un compromis en faveur des banques universelles hollandaises, françaises et italiennes. Sans changement de cap radical, les banques de plus petite taille et moins risquées - qui contribuent pourtant largement au financement de l’économie réelle - se retrouveront inévitablement à subventionner les prises de risque des plus grandes banques européennes.
Nous souhaitons mettre le débat sur la place publique pour que chacun puisse s’adresser au Commissaire Barnier et lui faire part de son opposition aux orientations prises actuellement (*).
Les débats précédents sur les bonus et la transparence des banques ont en effet prouvé que la mobilisation citoyenne est indispensable pour pousser la Commission et les gouvernements européens à ne pas céder aux intérêts privés.
(*) Un site Web a été créé à cet effet : www.stop-bank-subsidies.eu/fr/
Image à la Une: publiée par La Libre Belgique, le jeudi 21 août 2014