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Les Verts: plus que jamais que la force du changement?

01/03/2013
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Le 10 novembre dernier s’est achevé mon second et dernier mandat de co-président du Parti Vert Européen. C’est pour moi une page importante qui se tourne. En effet, si mon engagement à Ecolo s’était focalisé aux niveaux local et fédéral pendant une première décennie, à partir de 1999 l’Europe en est progressivement devenue le lieu central. C’est alors qu’Ecolo me désigne comme un de ses représentants au sein du conseil de ce qui s’appelait encore la Fédération Européenne des Partis Verts (FEPV, EFGP en anglais). J’y ferai la connaissance des partis et des femmes et des hommes qui les incarnent au travers du continent  et, de fil en aiguille, le conseil m’élira en 2003 comme membre du comité exécutif, puis en 2006 à sa co-présidence, un mandat que j’exercerai une première fois aux côtés d’Ulrike Lunacek, alors députée fédérale autrichienne puis une seconde aux côtés de Monica Frassoni, autrefois co-présidente du groupe des Verts au Parlement Européen (GVPE).

Entretemps, la FEPV s’était transformée en 2004 en Parti Vert Européen (PVE), ouvrant ainsi le troisième chapitre de l’histoire de l’écologie politique en Europe. Dès 1979, au seuil de leur émergence dans quelques pays européens (dont la Belgique), les premiers élus avaient fondé la Coordination des Verts Européens, dont l’objectif principal était de fournir à ces pionniers l’occasion de se rencontrer et de confronter leurs expériences politiques. Dans un deuxième temps, en 1993, la coordination se transforma en fédération : ce fut le temps des débats, parfois difficiles, en vue de tenter de parler d’une seule voix, y compris sur des sujets sensibles comme les conflits en ex-Yougoslavie. La fin de cette période fut aussi marquée par les premières participations gouvernementales au niveau national, qui vit un temps cinq ministres verts siéger au conseil des ministres européens de l’environnement. De cette expérience ressortit clairement la nécessité non seulement de parler d’une seule voix mais aussi d’agir de manière coordonnée ; c’est ce besoin de coordination qui impulsa la transformation de la FEPV en PVE. Les enjeux portés par les Verts ne connaissant pas de frontières, il était logique que les Verts fondent le premier parti européen.

De mon parcours au sein du PVE, je retiens d’abord et avant tout une convergence politique forte entre les écologistes européens. Au fil de mon travail à l’exécutif du PVE, j’ai été directement impliqué dans le travail d’élaboration programmatique. Voici dix ans, nous étions capables de voter des résolutions communes d’ordre général sur quelques enjeux, souvent environnementaux ou internationaux. Aujourd’hui, nous partageons l’ossature d’un programme commun dans des domaines aussi divers et importants que la politique sociale, l’économie et la finance, l’énergie, l'agriculture etc… Certes, l’épaisseur et la richesse de ce socle commun varient selon les domaines considérés (la convergence est un travail de tous les jours…) et sa traduction dans les programmes nationaux reste imparfaite, mais il est incontestable que, parmi les familles politiques européennes, les Verts sont aujourd’hui les plus cohérents, comme le démontre à suffisance notre groupe parlementaire au Parlement Européen (dont la cohésion de vote est forte  cf. www.votewatch.eu).

Mais cette convergence supérieure à celle de nos adversaires politiques ne doit pas masquer le défi qui se présente à nous.  La famille verte se trouve aujourd’hui à la croisée de chemins; elle a le potentiel pour devenir un des acteurs politiques majeurs du 21ème siècle en Europe, mais risque tout autant de passer pour une manifestation éphémère, parmi d’autres, des alternatives politiques apparues au tournant du siècle.  

Pour réussir ce pari, nous devons me semble-t-il remplir cinq conditions :

  1. Nous focaliser sur la société, pas sur nous-mêmes : si notre objectif est bien d’être un agent de transformation de la société, nous ne pouvons nous comporter comme un club fermé dont l’activité principale est faite de débats (voire de disputes) internes.  Etre en prise avec la société aujourd’hui, c’est entrer en résonance – ce qui signifie plus que simplement comprendre – l’indignation, voire la colère, qui montent dans la société, en particulier contre des injustices sociales toujours plus criantes. Nos sociétés sont engagées sur des voies qui nous mènent collectivement dans le mur et où les plus vulnérables d'entre nous sont les premiers à en subir le choc.            
  2. Partager l’indignation n’est cependant qu’une première étape, qui doit ouvrir vers des propositions de solution. Ainsi, les Verts doivent-ils être capables de sortir de leur cocon – certains diraient niche – originel. De dénonciateurs de problèmes, en particulier environnementaux, nous devons devenir des porteurs de solutions qui permettent de répondre aux défis existentiels de ce siècle : permettre à tous – pas juste aux happy few, les 20% (citoyens des pays riches) ou pire le 1% (les ultra-privilégiés) de nos sociétés- une existence digne d’être vécue, et cela en respectant les limites physiques de notre planète. Pour être crédibles, ces solutions doivent combiner une vision ambitieuse – seule une transformation profonde de nos sociétés peut leur éviter l’effondrement – avec des premiers pas concrets réalisables. Autrement dit, nous devons être capables d’être porteurs d’un changement auquel nos concitoyens peuvent croire et dans lequel ils peuvent se retrouver. C’est ce que nous résumons par le Green New Deal, qui doit être l’instrument de la transformation sociale, environnementale mais aussi économique et financière de notre modèle de société.
  3. Avoir un diagnostic lucide, une vision ambitieuse et des solutions praticables n’est pas encore suffisant : encore faut-il faire la preuve à la fois du courage politique et de la capacité à mettre tout cela en œuvre. Cela veut dire que les Verts doivent garder la capacité de mettre en cause les tabous – qu’ils soient de droite ou de gauche – qui font obstacle à la transformation, quitte à prendre des risques. Nous ne sommes pas là uniquement pour revendiquer notre modeste part du gâteau du pouvoir, mais bien pour engager la transition. Et là où nous occupons des postes à responsabilité, nous devons y démontrer compétence, professionnalisme et éthique.
  4. Ensuite, reconnaissons que nous ne pourrons pas engager, seuls, la transformation profonde de la société à laquelle nous appelons. Au delà des clivages traditionnels se manifestent aujourd’hui déjà des femmes, des hommes, des associations, des organisations, des entreprises, qui engagent la transformation. C’est avec eux que nous devons être capables de construire des alliances. Car si la direction qu’elle doit prendre apparaît chaque jour plus clairement, personne n’a sur plan l’itinéraire de la transition : elle sera une construction collective. 
  5. Enfin, dernière clé du succès : l’unité dans la diversité. Il est certain qu’une équipe divisée, où chacun joue pour soi ne peut que perdre. Mais si nous voulons porter collectivement un projet de société, nous devons être capables de le faire en assumant une réelle diversité de ton et de langage. On ne s’adresse pas de la même manière à des travailleurs précaires et à des chefs d’entreprise, à des étudiants et à des syndicalistes, à des militants associatifs et à des jeunes d’origine immigrée… Réaliser cela exigera sans doute des Verts une plus grande diversité de leurs militants, de leurs cadres et de leurs dirigeants, mais aussi un très grand degré de confiance réciproque, condition d’une expression diverse.  

En conclusion, nous devons combiner radicalité et réalisme. En fait, c’est au nom même du réalisme – c’est-à-dire d’une compréhension aigüe des défis du réel – que nous ne pouvons que nous faire les avocats d’une transformation radicale – c’est-à-dire qui va jusqu’à la racine – de la manière dont vivent nos sociétés et dont elles interagissent avec la planète et le vivant. Mais ce même réalisme nous rappelle que nous ne partons pas d’une feuille blanche et que nous devons être capables d’engager cette transition à partir de nos sociétés, dans leur état actuel. Mais attention, si nous choisissons de nous contenter d’une radicalité déclaratoire, nous nous perdrons très vite dans la compétition à couteaux tirés qui règne sur cette partie de la scène politique. De même, si nous abandonnons toute ambition transformatrice pour une politique des petits pas, qui se contenterait de corriger les effets les plus outranciers du système en place, nous serons rapidement considérés comme une simple variante de l’orthodoxie. Dans les deux cas, nous perdons.

Ne nous voilons pas la face : après avoir réussi le pari sans précédent de gagner (46 sièges vs. 35) lors d’élections européennes de 2009 qui se tenaient en pleine crise financière,  les résultats actuels en Europe montrent que les Verts sont encore loin de constituer l’acteur politique clé que nous ambitionnons de devenir.  Je suis cependant convaincu que nous avons, collectivement, les ressources nécessaires pour remplir les cinq conditions que j’évoque plus haut. Dans un contexte de plus en plus anxiogène, à nous d’être capables d'être des porteurs d'espérance et de catalyser la transformation de nos sociétés pour qu'elles puissent surmonter les défis de ce siècle. 

On l’aura compris : la fin de mon mandat de co-président du PVE n’est en rien un départ à la retraite.

  Retrouvez ci-dessous l'intégralité de mon discours d'adieu au PVE lors du Conseil du PVE à Athènes le 10 novembre 2012 (en anglais)

 

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