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Les crypto-actifs à l’épreuve du « greenwashing » - Étude

21/04/2023
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Après 14 ans, les cryptos continuent encore et toujours à n'être qu'une solution à la recherche d'un problème. Cette quête désespérée d’applications réelles s'est encore accentuée suite à la série de krachs survenus ces dernières années sur le marché de la crypto-monnaie.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’émergence très récente d'initiatives cryptos « à impact » ou labélisées vertes. Parmi celles-ci, les projets liés à la compensation carbone constituent la catégorie la plus importante. Les crypto-actifs adossés à des titres compensatoires de carbone ont fait leur apparition au cours du dernier trimestre 2021, lorsque deux sociétés, Toucan et KlimaDAO, ont commencé à acheter et à retirer des crédits de compensation carbone volontaires et à émettre les jetons correspondants, ce qui a permis de les « tokeniser ». Outre le carbone, certaines initiatives s'étendent désormais à de nouveaux produits tels que les jetons adossés à la biodiversité et au « capital naturel ».

Cette nouvelle dynamique prend suffisamment d’ampleur pour commencer à intéresser certains acteurs institutionnels. Par exemple, la branche financière de la Banque mondiale s’est récemment associée à des sociétés cryptofinancières pour lancer un fonds dont l’objectif serait de tokeniser et vendre des crédits de réduction volontaire des émissions basés sur la nature. Les domaines d’application du fonds recouvreraient notamment le captage et stockage de carbone, la rétention d'eau et la biodiversité.  

Mais, dans quelle mesure ces nouveaux crypto-actifs, et en particulier ceux prenant la forme d’actifs tokenisés, sont-ils réellement verts ? 

Selon un rapport commandé par les Verts européens, les crypto-actifs adossés à des titres crédits carbone ne constituent pas une vraie solution pour lutter contre le changement climatique. Plus précisément, ce rapport conteste deux prétendus avantages de la blockchain dans ce domaine. 

La première allégation est le renforcement de la transparence, dans la mesure où la blockchain permettrait d’assurer le suivi des titres compensatoires jusqu’à leurs acheteurs et aux projets spécifiques auxquels ils sont reliés. Cela aurait pour avantage d’éviter le risque de double comptage, en aidant les observateurs du marché à enregistrer le nombre de crédits achetés et retirés. Or, selon Frédéric Hache, auteur du rapport : « plus de données ne signifie pas automatiquement plus de transparence, car les gens doivent être en mesure de comprendre les données ». La disponibilité et la transparence des informations n’a pas en effet empêché plusieurs scandales récents[1]. En réalité, la blockchain n’est pas en mesure de remplir les fonctions de contrôle, de mesure et de vérification des projets de compensation qui doivent normalement être exercées par une entité indépendante et fiable, comme les registres traditionnels Gold Standard ou Verra. 

Pire, la tokenisation - en procédant à l’émission d’un jeton adossé à un ensemble de titres compensatoires hétérogènes sur le plan de leur intégrité environnementale - pourrait même rendre encore plus difficile le processus d’évaluation des cryptos labellisés verts. 

Un autre prétendu avantage de la tokenisation serait sa capacité à intensifier le financement des projets de compensation carbone, en attirant les capitaux des crypto-investisseurs et des investisseurs institutionnels. Mais, pour que la croissance de ce marché puisse être considérée comme bénéfique, encore faut-il que les projets de compensation aient résolu leurs problèmes d’intégrité environnementale, ce qui n'est pas le cas et ne le sera probablement jamais. En outre, l’investissement d’une partie des 850 milliards de dollars de crypto-actifs dans la compensation carbone stimulerait encore plus la demande pour de vastes espaces naturels destinés à accueillir les projets de compensation, avec tous les effets pervers que cela entraîne : accaparement des terres et violations des droits de l'homme qui en découlent, sans parler du risque de flambée des prix alimentaires mondiaux. 

Parallèlement à l’évaluation des prétentions écologiques d’un nombre croissant de crypto-actifs, le rapport se penche également sur l’empreinte environnementale de ces actifs numériques. Les mécanismes utilisés pour la validation des transactions en crypto-actifs ont en effet un impact environnemental important, en particulier pour les mécanismes de consensus dits de « preuve de travail » (Proof-of-Work), consommant beaucoup d'énergie et générant une empreinte carbone élevée et la production de déchets électroniques. En outre, quand bien même ce mode de validation énergivore serait entièrement alimenté par l'éolien et le solaire, il ne pourrait pas être considéré comme durable : l’énorme quantité d'énergie verte consommée serait en effet utilisée à meilleur escient pour le chauffage ou le transport que pour le trading d’actifs virtuels.

En conclusion, l’auteur du rapport insiste sur la nécessité de réglementer les allégations environnementales des crypto-actifs, afin d'éviter tout risque de « greenwashing » ou de vente abusive aux consommateurs. Il propose en outre que l'émission, l'offre et l'admission à la négociation de crypto-actifs fondés sur des mécanismes de consensus non viables sur le plan environnemental soient interdits dans l'Union. 


Concernant le règlement sur les marchés des crypto-actifs (MiCA) - soumis au vote du Parlement européen ce jeudi 20 avril - le rapport déplore le fait qu’il n'inclut aucune norme de durabilité obligatoire pour les crypto-actifs ni aucune interdiction d'utilisation à grande échelle dans l'Union de mécanismes de validation par la « preuve de travail ». 

Ceci étant, le texte final exige que les fournisseurs de services de crypto-actifs et les émetteurs divulguent l'impact négatif que leur mécanisme de consensus pourrait avoir sur le climat et l'environnement, sur la base d'indicateurs de durabilité que devra développer l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). 

Bien que cette exigence de transparence ne soit pas suffisante, la clause de révision incluse dans le règlement MiCA requiert que la Commission évalue d’ici deux ans la nécessité de mesures supplémentaires pour atténuer l'impact négatif des crypto-monnaies sur le climat et l'environnement. Il faut donc espérer que la méthodologie qui sera développée par l'AEMF préparera le terrain pour des mesures plus strictes dans un avenir proche.

Télécharger l'étude en Anglais

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