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L'implacable lobby bancaire européen

17/10/2011
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LEMONDE.FR 17.10.11. Le risque d'une nouvelle crise bancaire en Europe s'apparente de moins en moins à une fiction. Surendettées et fortement exposées aux dettes souveraines des pays de la périphérie de la zone euro (Grèce, Portugal, Irlande), les banques européennes assistent en effet impuissantes depuis l'été 2011 à l'effondrement de leur valeur boursière. Le démantèlement de Dexia – approuvé par le conseil d'administration du groupe le 10 octobre – devrait renforcer cette tendance. A première vue, la menace d'un nouveau cycle de faillites bancaires paraît surprenante compte tenu du soutien public sans précédent dont les banques européennes bénéficient depuis 2008. Dans un rapport daté de 2011 sur les aides d'Etat accordées au secteur financier, la Commission européenne note en effet que ce dernier aurait bénéficié sur la période 2008-2010 de plus de 303 milliards d'euros sous la forme de mesures de recapitalisation, auxquels s'ajoutent 104 milliards d'euros liés aux opérations de rachats d'actifs douteux ainsi que 77 milliards d'injections de liquidité. En outre, les Etats membres ont accordé des garanties sur les prêts interbancaires à hauteur de 757 milliards d'euros. Bien que ce dernier dispositif n'ait pas engendré de coût jusqu'à présent pour les Etats membres, il pourrait en aller autrement en cas de défaut des banques bénéficiaires de ces garanties. Ceci étant, le montant global des aides allouées aux banques européennes dépasse largement les chiffres avancés par la Commission. En effet, cette dernière ne comptabilise pas dans ses calculs les mesures non conventionnelles prises par la Banque centrale européenne (BCE) pour aider le secteur bancaire. Les montants en jeu sont pourtant colossaux : le 24 juin 2009, la BCE a procédé à une injection illimitée, à taux fixe et à un an, de 442 milliards d'euros pour pallier aux difficultés du marché interbancaire. Depuis, la BCE a renouvelé à plusieurs reprises ses opérations d'apport de liquidité aux banques. Or, une part non négligeable des liquidités fournies par la BCE constitue un subside pur et simple au secteur bancaire. En empruntant des liquidités à des taux très faibles auprès de la BCE (entre 1 et 1,5 %), celui-ci les utilise en partie pour acheter des actifs à haut rendement. De même, en échange de ces liquidités bon marché, les banques fournissent à la BCE des garanties – appelées "collatéraux" – dont la qualité plus que douteuse est dénoncée par de nombreux experts. Ces opérations non conventionnelles de la BCE sont d'autant plus interpellantes qu'elles se font en l'absence totale de transparence. Parallèlement à ces aides directes massives, l'industrie bancaire européenne bénéficie en outre largement des plans de sauvetages concédés à la Grèce, au Portugal et à l'Irlande. En l'absence des prêts accordés par le Fonds européen de stabilité financière (EFSF), celle-ci s'exposerait en effet à des pertes conséquentes, dans la mesure où l'encours des créances bancaires sur ces trois pays s'élève à plus de 500 milliards d'euros. Malgré leur ampleur, ces aides financières – dont le coût est énorme pour le contribuable européen – n'ont pas atteint leur objectif. A l'image du botox injecté aux actrices vieillissantes, elles ont en effet gommé superficiellement les fêlures du système, sans pour autant les éliminer. La cause de cet échec tient principalement au fait que l'opération de socialisation des pertes de l'industrie bancaire ne s'est pas accompagnée d'une réelle refonte de ses structures. Résultat: le retour aux profits pour les banques - observé dès 2009 - n'a été rendu possible qu'aux prix de prises de risques toujours plus extrêmes. C'est cet excès porteur de vulnérabilités pour le secteur qui est aujourd'hui sanctionné par les marchés. La Commission européenne opposera certainement à ce constat qu'elle a déposé le 20 juillet dernier une proposition de réformes (dénommé "CRDIV") pour rendre les banques "plus fortes et plus responsables". L'examen de ce paquet législatif révèle néanmoins combien le lobby bancaire – surreprésenté dans les 19 groupes d'experts qui conseillent la Commission sur les matières liées au secteur financier – est parvenu à en limiter fortement la portée. Sa première victoire est d'avoir convaincu la Commission de proposer un rehaussement relativement modéré des fonds propres réglementaires des banques. En passant de 8 % à 10,5 %, leur niveau est en effet encore nettement inférieur à celui de 16-20 % préconisé – entre autres – par les experts de la Banque d'Angleterre. Selon ces derniers, il s'agirait pourtant du niveau de fonds propres optimal permettant de prévenir la survenance de nouvelles crises bancaires, tout en garantissant une distribution du crédit aux ménages et aux entreprises à un coût raisonnable. Second succès du lobby bancaire : les standards de liquidité proposés par la Commission feront l'objet d'une longue période d'observation, sans aucune garantie de réglementation contraignante à la fin du processus. Autrement dit, en remettant à plus tard l'introduction éventuelle de tels ratios, la Commission préjuge qu'aucune crise de liquidité ne frappera le secteur bancaire au cours de la décennie actuelle. Or, les difficultés de refinancement sur le marché que rencontrent actuellement les banques françaises témoignent de l'urgence de contraindre ces dernières à privilégier un financement de long-terme de leur bilan. La troisième victoire du secteur bancaire concerne l'absence de mesures spécifiques limitant les opérations financières entre le système bancaire régulé et le système bancaire dit "fantôme". Ce dernier – qui englobe la plupart des acteurs financiers non régulés tels que les véhicules hors-bilan, les fonds spéculatifs, etc. – constitue pourtant un mécanisme clé à travers lequel la crise s'est propagée. Enfin, le fait d'armes le plus cinglant du lobby bancaire est d'être parvenu à exclure du champ d'application du projet de réformes de la Commission tout type de mesure posant les prémices d'une séparation stricte des métiers bancaires. La Commission aurait pourtant pu au minimum s'inspirer de la proposition de la commission bancaire britannique – présidée par l'économiste John Vickers – qui vise à introduire un cloisonnement des activités de banque de détail à l'intérieur des grandes banques universelles. Bien que l'industrie bancaire ait démarré en puissance dans ce contre-la-montre réglementaire en édulcorant avec succès les propositions de la Commission, la course est cependant loin d'être terminée. En effet, il revient désormais au Parlement européen et au Conseil de négocier le règlement final qui jettera les bases du nouveau cadre prudentiel de l'Union. A défaut d'une législation bancaire ambitieuse, les grandes banques n'auront aucune peine à solliciter des nouvelles aides d'Etat, sans renoncer à leurs objectifs de rentabilité à court-terme. Les gouvernements européens feront certainement l'objet d'intenses pressions de la part de leurs géants bancaires nationaux pour limiter les contours de la nouvelle règlementation. Ils seront en cela confrontés au même choix que les députés européens : contribuer au désenchantement démocratique en cédant aux cris d'orfraie du lobby bancaire ou, au contraire, le combattre en prouvant qu'il est encore possible de remettre la finance à sa place.

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